Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/713

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

désastreuse a été de se jeter dans cette voie, aveuglément, en n’écoutant que la passion du jour, de céder sans cesse aux partis les plus extrêmes de peur de se laisser devancer ou sous prétexte de ne pas diviser la majorité républicaine, de livrer aux sans-raison du radicalisme tantôt la magistrature, tantôt l’enseignement ou l’inviolabilité des croyances. On s’est laissé entraîner d’excès en excès dans ce qu’on a appelé la « guerre au cléricalisme, » et à quoi en arrive-t-on aujourd’hui, en ce moment même où le gouvernement semble pourtant sentir à demi la nécessité de s’arrêter ?

Il se trouve à Paris un préfet qui, pour payer sa bienvenue, pour complaire au conseil municipal, ne craint pas de toucher à ce qui était resté sacré jusqu’ici, à l’asile même des morts, qui avait été toujours respecté. Les autres préfets se sont illustrés par de mémorables campagnes contre les crucifix des écoles ; le nouveau préfet tient à s’illustrer à son tour en portant la main sur les croix, sur les emblèmes religieux qui décorent les cimetières, qui sont l’expression d’un culte populaire. Et c’est bien vainement que M. le préfet de la Seine a cherché à excuser ou à expliquer la mesure par laquelle il a inauguré son administration en invoquant l’abrogation récente d’un article d’un décret de prairial an XII. L’abrogation d’un article qui n’a trait qu’à un détail de la police des cimetières, au classement des sépultures dans les communes où il y a plusieurs cultes, ne lui faisait nullement un devoir d’offenser les sentimens les plus intimes en s’attaquant à des emblèmes qui sont une pieuse et touchante commémoration. Il garde le mérite de son interprétation, d’une invention qui n’est qu’un épisode de plus de cette triste campagne. Qu’il se trouve un ministre, ce ministre eût-il signé les décrets du 29 mars, qui ait la hardiesse de croire que la protection des intérêts religieux dans ces pays d’Orient est une tradition nationale, un moyen d’influence pour la France, et qui, pour cette protection, ait mis une somme peu importante à la disposition de M. le cardinal Lavigerie envoyé l’an dernier à Tunis, aussitôt il y a quelque énergumène qui se lève pour réclamer la radiation du crédit. Peu importe que la mission de M. l’archevêque d’Alger ait rendu à Tunis les plus utiles services, au dire des étrangers les plus opposés à l’influence française ; c’est un crédit à biffer du budget pour raison de cléricalisme aussi bien que pour cause d’irrégularité, et la chambre, un moment troublée, ne s’est peut être arrêtée que devant la menace d’une crise ministérielle qu’on lui a laissé entrevoir. S’il s’agit de l’hôtel des Invalides, il faut le supprimer ! M. le ministre de la guerre a sans doute réussi, par un mouvement de vive et patriotique éloquence, à sauver encore pour cette fois le vieil asile des mutilés de la guerre ; mais ce n’est pas sans peine ; et sait-on pourquoi il faut se hâter de supprimer l’hôtel des