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Joséphine, qui avait déjà des dames du palais, sans qu’elles en portassent tout à fait le titre, était universellement appelée Mme Bonaparte. C’est l’empire, en 1804, qui raya définitivement du langage officiel les dénominations introduites par la révolution ; elles étaient déjà presque totalement tombées en désuétude. Cependant les titres nobiliaires proprement dits n’avaient timidement reparu qu’après que les émigrés eurent été autorisés à rentrer sous de certaines conditions. On commença alors dans la vie privée à restituer aux gentilshommes le nom et la qualité qui leur appartenaient. Les qualifications usitées sous l’ancienne monarchie reprirent faveur. Mais Napoléon Ier, en instituant une nouvelle noblesse et en empruntant pour elle à la noblesse féodale une partie de ses qualifications, mit un terme à cette tolérance ; il ne laissait plus les ex-nobles afficher leurs titres. Ces titres, il les confisqua pour ainsi dire à son profit en les soumettant à une hiérarchie qui lui permettait d’en faire un moyen régulier de récompense, un système de promotions, et un complément de la Légion d’honneur. Il accordait à cette nouvelle noblesse des avantages spéciaux et certains privilèges sans en faire tout à fait une classe à part de citoyens, surtout sans la dispenser des charges publiques. Les anciens nobles, auxquels la nouvelle noblesse ne fut pas conférée, — et ils formaient l’immense majorité, — durent renoncer à se parer de leurs titres et se contenter de les recevoir de la bouche de quelques amis qui les leur donnaient encore par courtoisie. Les gentilshommes auxquels leur zèle à servir l’empereur avait valu des lettres d’anoblissement n’obtinrent généralement pas le même titre qu’ils portaient sous l’ancien régime. Napoléon Ier leur en attribuait un, presque toujours inférieur à celui qui appartenait à leur famille, car il entendait que sa noblesse restât au-dessus de celle que la révolution avait supprimée, mais qui n’en subsistait pas moins dans l’opinion. Il y eut donc, à partir de cette époque, deux noblesses qui se tenaient fort séparées : l’une, de création récente et qui faisait montre de ses titres, qui renfermait surtout dans son sein des hommes nouveaux, dont plusieurs avaient un passé révolutionnaire jurant fort avec la qualification à eux attribuée ; l’autre, qui fière de ses parchemins, vivait à l’écart, et ne dissimulait pas son mépris pour les nouveaux anoblis. Le public eut grand’peine à accepter la métamorphose que la collation des nouveaux titres imposait à tant d’hommes qu’il avait connus sous un autre nom et qui ne rappelait à son esprit rien d’aristocratique. L’archichancelier de l’empire avait vainement été fait duc de Parme et l’architrésorier duc de Plaisance : on disait toujours Cambacérès et Lebrun. Quand on parlait dans la conversation des ducs de Rivoli, de Dalmatie, d’Elchingen, de Dantzig et de Castiglione, on n’employait