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de l’endroit. De la sorte, l’appellation de la seigneurie se transformait en un nom de famille. Toutefois, à l’origine, le privilège qu’avait l’aîné de posséder la totalité du fief n’était pas absolu. Les puînés, à la mort du père, en obtenaient par droit d’héritage souvent chacun une fraction ; cette parcelle devenait un véritable arrière-fief de la seigneurie ; ils en faisaient hommage à l’aîné, possesseur de celle-ci, et dont ils relevaient conséquemment comme vassaux. Ils pouvaient dès lors prendre le nom particulier que portait le fonds de terre qui leur était accordé dans la succession. Philippe Auguste, dans son domaine royal, avantagea plus encore les puînés ; il leur fit assigner une part dans le fief sans les astreindre à relever de leur aîné, et en ne leur imposant pour suzerain auquel serait dû l’hommage que le seigneur dont avait relevé leur père. Mais dans la plus grande partie du royaume l’ancien usage persista. Les puînés furent, comme on disait, parageurs ; ils tinrent leurs fiefs de l’aîné, tantôt ajoutant à leur nom de baptême le nom de la fraction du fief paternel pour laquelle ils devaient hommage à leur frère, tantôt gardant simplement, sans se qualifier de sire ou de sieur, le nom de la seigneurie paternelle. Cette communauté de nom entre les frères tenait au reste à ce que, suivant le plus grand nombre de coutumes, l’aîné des enfans n’avait sur le fief qu’un simple droit de préciput. Il prenait le manoir, il héritait des armes du père, et les puînés n’en étaient pas alors réduits à une mince légitime, à ne se partager que quelques objets mobiliers. Si le père avait possédé plusieurs fiefs, à sa mort, malgré le droit de primogéniture établi en principe, les puînés pouvaient dans certains cas en avoir un comme apanage, et ils ne manquaient guère d’en prendre le nom. La famille arrivait donc, par ces diverses circonstances, à se partager en plusieurs branches différemment dénommées. Tandis que la branche aînée gardait le nom de l’ancienne seigneurie, les puînés adoptaient des noms nouveaux, sans cependant abandonner tout à fait le nom paternel, qui représentait celui de la souche. Ils devenaient alors seigneurs à leur tour d’un fief différent du fief auquel leur famille avait dû originairement son appellation. N’avaient-ils point de fief, ils faisaient suivre, pour se désigner, le nom paternel, gardé par eux, de la qualification de chevalier ou d’écuyer, selon que l’une ou l’autre avait appartenu à leurs aïeux. Bien entendu, un cadet pouvait par ses mérites personnels obtenir pour lui-même une seigneurie et devenir ainsi la tige d’une nouvelle famille seigneuriale dont parfois l’importance éclipsait celle de la branche aînée.

Les choses se passaient semblablement pour ce qu’on appela le fiefs de dignité, c’est-à-dire pour ceux auxquels étaient attachés les titres de duché, marquisat, comté, vicomte, baronnie. Ces dénominations