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elle se mêlait sous des prête-noms à des trafics et à des tripotages financiers, les gens titrés épousaient des héritières de riches traitans ou d’opulens bourgeois et fumaient ainsi leurs terres, suivant leur impertinente expression, mais les roturiers l’envahissaient de toute part à l’aide de titres nobiliaires qu’il n’était pas bien difficile d’obtenir, car l’anoblissement s’attachait à une foule de fonctions. Les rois avaient accordé la noblesse au premier degré à nombre, d’offices et de magistratures, et l’exercice de plusieurs de ces charges pendant deux ou trois générations, dans certaines conditions, faisait acquérir la noblesse héréditaire. L’entrée dans ces charges, dont la plupart étaient vénales, fut un sûr moyen d’arriver à être gentilhomme. Il y avait là une prime pour engager à les acheter. Tels offices qui conféraient la noblesse n’étaient pas d’un ordre bien élevé. Par exemple, les charges municipales, dans maintes villes de France, valaient la noblesse personnelle au bout d’un certain temps d’exercice et donnaient par là un facile accès à la noblesse héréditaire. Ce privilège pour les offices municipaux fut renouvelé à diverses reprises. En confirmant les maires, échevins, capitouls, jurats, etc. dans la jouissance pour eux et leur famille, et même pour leur descendance, du privilège de noblesse, le roi songeait moins à récompenser des services rendus au pays qu’à alimenter son trésor, car toutes ces confirmations entraînaient le paiement de droits pécuniaires. En 1706, Louis XIVe confirma au prévôt des marchands et aux échevins de Paris le privilège de noblesse que leur avaient déjà accordé Charles V, Charles VI et Henri III ; en juin 1716, le régent renouvelait cette confirmation. Chaque fois, le prévôt et les échevins durent financer. On procéda de même pour les privilèges de noblesse attachés à diverses charges de judicature. On ne s’en tint pas à ces anoblissemens intéressés et qu’on pourrait appeler fiscaux. La vénalité alla souvent plus loin, et le gouvernement royal vendit quelquefois directement des lettres de noblesse, et cela dès le XVIe siècle.

Il en devenait de la noblesse comme de la monnaie fiduciaire, qui inspire d’autant moins de confiance qu’il y a une plus grande émission de papier. Les choses se passaient ainsi au rebours de ce qu’elles avaient été antérieurement. Jadis, les rois avaient donné des bénéfices et des terres à ceux qu’ils anoblissaient ; maintenant c’étaient les anoblis qui payaient le roi. En fait, les titres de noblesse étaient à l’encan. Un édit royal du mois de mai 1702, portant anoblissement de deux cents personnes, auxquelles devaient être expédiées des lettres de noblesse irrévocables et exemptes de toute taxe, déclarait que les nouveaux anoblis auraient à acquitter des droits et frais modérés en vue de subvenir aux besoins de la guerre. On se fondait, pour justifier ce trafic, qui s’était déjà fait quelques années