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encore quelque éclat. L’abolition de l’hérédité de la pairie, celle des majorats, ruinèrent les bases d’une institution qui ne devait plus désormais subsister que par des titres ; mais ces titres eux-mêmes perdaient chaque jour de leur valeur, tant ils étaient usurpés, tant il y avait d’arbitraire dans la façon dont on se les transmettait. Le gouvernement de juillet fut le fruit de la victoire des classes moyennes sur l’aristocratie nobiliaire qu’avait essayé de reconstituer la restauration. Il était l’effet d’un retour décidé aux principes de 1789, aux idées que les ultra-royalistes avaient vainement tenté d’étouffer. Il prépara chez nous l’avènement de la démocratie. Je n’ai point à me prononcer ici sur les avantages et les inconvéniens de cette forme sociale. Il me suffit de constater que son triomphe n’a point été un accident, qu’il fut la conséquence d’un ensemble d’événemens et de crises dont le point de départ était le renversement de l’ancienne monarchie. Les progrès de la démocratie ont été sans doute en France plus rapides que bien des publicistes ne l’avaient pressenti, que la prudence ne le désirait, mais ils n’en furent pas moins la résultante de forces que rien n’a pu enrayer. Tout a finalement tourné à sa victoire. La démocratie s’est emparée de tout ; c’est un torrent dont le lit n’a cessé de s’élargir ; il nous inonde de toutes parts et il déborde aujourd’hui bien au-delà de nos frontières. Sur ses ondes écumantes et bourbeuses surnagent les titres nobiliaires comme des épaves du grand naufrage qu’a amené le cataclysme ; mais la violence du courant les pousse de plus en plus vers l’océan où tout s’engloutit. Ils sont déjà tellement battus par les flots qu’ils commencent à devenir méconnaissables, et peut-être dans deux ou trois siècles, ils ne seront plus qu’un lointain souvenir. Après leur submersion, la vanité, l’orgueil qui les auront fait pendant longtemps échapper à la destruction, auront-ils aussi disparu ? Assurément non. Ces passions tiennent trop étroitement à l’essence de notre nature pour qu’on puisse voir en elles simplement l’effet du mode de constitution de la société-elles changeront seulement de mobile. Sous tous les régimes l’homme travaillera à s’élever au-dessus d’autrui, il se parera de quelque marque de sa supériorité vraie ou prétendue. Sous la démocratie radicale, on demandera aux honneurs civiques, aux fonctions électives, à des insignes ou à des galons la satisfaction de ces passions, qu’il ne sera plus possible ni permis de chercher dans des qualifications nobiliaires ; on briguera du peuple les distinctions que, sous une monarchie, on sollicite de la faveur du prince.

Une différence fondamentale séparera toutefois cette sorte d’aristocratie populaire de la noblesse telle que nous l’entendons aujourd’hui. Elle sera essentiellement viagère et personnelle. La démocratie tend à enlever toute hérédité aux fonctions et aux avantages