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du Niger et nous verrons s’ouvrir devant nous toutes les régions tropicales de l’Afrique, qui ne le cèdent ni en étendue, ni en élémens de richesses naturelles à leurs similaires du Sud asiatique et qui ne tarderaient pas à rivaliser avec elles de prospérité, dès que nous aurions su substituer les bienfaits d’une administration intelligente et paternelle à la dégradante anarchie sociale qui les désole aujourd’hui.

« Le monde n’est pas grand, » disait déjà Christophe Colomb. Les distances et les obstacles matériels cessent d’exister pour nous, quand nous avons trouvé les moyens pratiques de les franchir ou de les surmonter ; et, sous ce rapport, notre siècle voit s’accomplir une des plus grandes révolutions économiques de l’humanité.

L’invention des chemins de fer a complètement renversé l’ordre ancien des voies de communication. Elle a donné en un jour plus de supériorité à la voie terrestre que quarante siècles de progrès n’en avaient réalisé pour la voie maritime. L’intérieur de l’Afrique, isolé jusqu’à ce jour du reste du monde par une infranchissable ceinture de déserts et de marais pestilentiels, peut devenir plus rapproché de nous en distance relative qu’il ne l’est de fait en distance absolue mesurée à vol d’oiseau sur les blancs énormes de la carte.

Ce continent qui nous fait face nous attire plus que jamais. Bon gré mal gré, nos gouvernans ne peuvent en détourner leurs regards, mais c’est moins par ses arides rivages que par ses fertiles régions intérieures qu’il doit mériter notre attention. C’est au Soudan plutôt qu’en Tunisie ou en Égypte que nous devons frapper. Il nous suffit d’un point de la circonférence, et nous l’occupons en Algérie, pour atteindre le centre. Le chemin de fer Transsaharien nous en ouvrira les portes toutes grandes. La voie est tracée sur un sol facile. Elle n’attend que les rails qui doivent la rendre praticable.

La question était à peine posée qu’un moment j’ai pu croire qu’elle allait être résolue. Par quel concours de fâcheuses circonstances, de malentendus, a-t-on cessé brusquement de s’en occuper ? Je n’ai pas à le rappeler ici. Mais l’œuvre, un moment ajournée, s’impose trop à nous pour qu’elle ne doive pas prochainement s’accomplir. Espérons que la France ne laissera pas échapper cette occasion unique qui se présente à elle de reprendre sa place à la tête de la civilisation militante dans cette croisade contre les barbares, et qu’elle comprendra que son rôle doit plutôt consister à supprimer les barrières matérielles qui séparent les peuples qu’à en créer à grands frais d’artificielles.


DUPONCHEL.