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ce n’est pas son affaire, mais la vôtre, parce que ce chien vous appartient.

— Certainement, s’écria le colonel en prenant une voix de commandement ; il n’y a pas à m’y tromper ; il était tout jeune quand on me l’a donné. N’est-ce pas, Bingo, que vous connaissez bien votre maître ?

Au lieu de se rapprocher du colonel et de répondre à son invite, le caniche faisait des bonds fantastiques pour aller rejoindre l’étranger de l’autre côté de la haie.

Pas besoin n’était d’un Salomon pour dire qui était le vrai propriétaire.

— Je vous répète que c’est mon chien, mon Azor ; vous voyez bien qu’il me reconnaît. Je l’ai perdu il y a trois ou quatre jours. Ayant lu dans un journal qu’on l’avait retrouvé, je me suis rendu à l’adresse indiquée, et là, j’ai appris qu’il avait été réclamé par monsieur. Voilà comment je suis venu ici et comment j’y retrouve mon caniche.

— Qu’est-ce qui prouve que c’est votre caniche ? s’écria le colonel ; moi je vous donne ma parole d’honneur que c’est le mien… Fournissez vos preuves… C’est toujours ainsi qu’on procède, n’est-il pas vrai, Travers ?

— Certainement, répliqua Travers d’un air capable ; affirmation n’est pas preuve.

— Votre caniche a-t-il quelques talens ? ajouta le Français. Sait-il faire des tours d’adresse ?

— Non, certes, riposta le colonel ; je ne puis pas supporter les chiens savans. Bingo n’a aucun de ces ridicules.

— Ah ! s’il en est ainsi, attention, je vous prie, à ce qui va se passer. Azor, mon chou, danse donc un peu !

Et l’étranger siffla un air, sur lequel l’infernal caniche fit tout le tour du jardin sur ses jambes de derrière. On suivait d’une des fenêtres du salon tous ses mouvemens avec stupéfaction.

— Il danse comme un vrai saltimbanque ! s’écria le colonel consterné ; malgré cela, ce n’en est pas moins maître Bingo.

— Vous n’êtes pas convaincu ? Alors continuons. Azor, ici !.. Pour Bismarck, Azor ! — Le caniche se mit à aboyer avec furie. — Pour Gambetta, Azor ! — Le caniche agita sa queue en se livrant à maintes gambades d’une gaîté folle. — Meurs pour la patrie, Azor !

À ces mots, l’animal trop savant tomba inerte par terre comme s’il venait d’être frappé par une balle ennemie.

— Où Bingo a-t-il pu apprendre tout ce français ? dit Lilian.

— Et toute cette histoire de France ? ajouta le perfide Travers.

— Faut-il lui ordonner encore de se coucher ou de sauter ? demanda le Français.