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empoigné. L’homme chelléen devait attaquer ou se défendre avec un bâton, une massue en bois plus ou moins lourde et dangereuse ; mais, avec l’arme d’attaque ou de défense, qui a nécessairement péri sans laisser de trace, il possédait l’outil, l’outil indispensable, appliquant à toutes les fins, remplaçant à lui seul la hache, le couteau, le ciseau, la gouge ; perçant, sciant ou taillant selon le cas, aussi simple que l’intelligence qui l’avait créé et s’adaptant à tous les métiers, qui n’avaient alors ni nom ni but bien précis et se réduisaient à aider l’homme enfant dans ce qu’il voulait entreprendre. Quand on compare l’un à l’autre ces « coups de poing » chelléens, si peu variés en apparence, figurés dans le « musée préhistorique, » on discerne pourtant comme un germe encore faible de différenciation qui se laisse entrevoir. L’extrémité demeure brute et lisse, parfois arrondie et cylindrique, comme pour donner lieu à un manche, tandis que la sommité se rétrécit et s’allonge en une vraie pointe. Il semble qu’on reconnaisse les rudimens d’un poinçon ou bien qu’on aperçoive un coin. D’autres fois ; le disque, régulièrement amygdaloïde d’ordinaire, affecte un contour deltoïde, ou bien, au contraire, il offre l’aspect d’un fer de lance. Ce sont là pourtant des variations secondaires qui disparaissent généralement dans l’uniformité de la masse des objets réunis.

La division croissante, mais lentement effectuée du travail industriel, semble avoir été la tâche réservée à l’âge suivant, celui du Moustier, qui se soude au précédent et, avec une moindre perfection dans les détails, montre, en revanche, plus d’habileté et de rapidité dans le procédé, un sentiment plus utilitaire dans l’emploi du silex taillé. Les instrumens obtenus par percussion, et finis à l’aide de retouches, sont déjà bien plus variés et leur forme mieux appropriée aux usages auxquels ils étaient destinés. C’est donc une spécialisation plus avancée et qui tend à se perfectionner graduellement. Le climat européen est devenu plus rude ; les glaciers marchent vers leur plus grande extension ; l’homme « moustiérien » est obligé de s’abriter dans les cavernes, où les vestiges de son industrie deviennent aussi fréquens que ceux qu’il a laissés épars sur le sol. Du reste, selon M. de Mortillet et selon la vraisemblance, la race et l’époque du Moustier ne sont qu’un prolongement de celles de Chelles. Seulement l’homme, pressé par le climat, se réfugie dans des cavernes. Sous l’empire de nécessités qu’il ignorait, il éprouve des besoins auparavant inconnus. Il devient forcément plus industrieux ; il s’arme en vue du combat pour la vie, désormais plus rude. La nature vivante change autour de lui ; les grands animaux s’éclaircissent : le mammouth a décidément supplanté l’éléphant antique ; au rhinocéros de Merck a succédé le rhinocéros aux narines cloisonnées ; le cheval, le