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fond de train. Tout cela était de bien mauvais goût. Mais je sais du moins qu’elle reviendra sans plus d’avaries qu’au départ. Il en est de même quand elle sort avec M. Leverett qui, lui, ne possède pas de voiture, et l’attend modestement dans le salon. Je n’ai aucun moyen de m’assurer de la situation pécuniaire de celui-là. Il flotte sur ces questions un vague qui est bien fait pour alarmer les mères. A Genève, je ne serais pas embarrassée, j’irais vous trouver, chère madame, et vous m’auriez vite appris tout ce qu’il importe de savoir, mais New-York est grand et personne ne parait se douter de l’état de fortune de M. Louis Leverett. Il est vrai qu’il est de Boston, où demeurent tous les siens. Je ne peux pourtant pas faire le voyage pour découvrir peut-être que ce jeune Louis, — fort cultivé du reste, — a quelque cinq mille francs de rente. Je me rassure en constatant qu’il n’est pas ce qu’on peut appeler dangereux. Quand Aurora revient d’une promenade avec lui, elle me dit qu’ils ont parlé de l’Italie et de la renaissance, — M. Leverett connaît son Europe sur le bout du doigt, sans l’apprécier précisément à ma manière. — Vous blâmerez la tolérance des mères américaines, et je ne puis m’en étonner, chère amie, mais, du moins, ne me trahissez pas !


III.
Miss Sturdy (Newport) à Mrs Draper (Florence) .


30 septembre.

J’ai promis de vous dire si je m’y plaisais ; mais, en vérité, je suis allée et venue tant de fois que j’ai presque cessé de me plaire ou de me déplaire. Rien ne me frappe à l’improviste ; je m’attends à tout ce que je vois. Et puis je n’ai pas l’esprit critique, vous savez, aucun talent pour l’investigation. perçante et approfondie. Ayant vécu plus longtemps que de coutume du mauvais côté de l’eau, je me sens un peu dépaysée ; au milieu des usages américains. Nos compatriotes sauront bien m’y rompre de nouveau, mais pour le moment, je ne me laisse pas contraindre. Je leur dis ce que je pense, parce que je crois avoir, en somme, l’avantage de savoir ce que je pense… quand je pense quelque chose, bien entendu ; souvent je ne pense rien du tout, et cela les mécontente. Ils exigent que vous ayez des impressions, et ils tiennent à ce que ces impressions soient favorables,.. rien de plus naturel, je ne leur ferai pas un crime de ce qui me paraît, au contraire, une fort aimable qualité. Cette qualité rend sympathiques les individus qui la possèdent ; pourquoi n’en serait-il pas de même des peuples ? Il y a néanmoins certaines choses sur lesquelles je ne veux pas avoir