Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/211

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de bonnes affaires. Mais le moyen d’être son ami sans être son protégé ? S’il en coûtait peu à tel de nos ministres d’accepter cette situation, il en coûtait davantage à d’autres. On raconte que jadis un chancelier offrit sa protection au parlement et que le premier président, se tournant vers la compagnie, lui dit : « Messieurs, remercions M. le chancelier, il nous donne plus que nous ne lui demandons. » M. de Bismarck ne demande pas mieux que d’entretenir avec nous de bons rapports, mais il lui déplaît que nous en ayons avec d’autres, il désire que nous n’ayons affaire qu’à lui. Il respecte tous nos droits, sauf le plus beau de tous ; il n’admet pas que nous ayons le droit de nous faire des amis. Toutes les fois que nous avons été tentés de nous rapprocher de quelque puissance du continent, d’avoir commerce avec elle, il a trouvé moyen de nous en témoigner son déplaisir, et il a su exploiter habilement les circonstances et nos propres fautes pour nous remettre à notre place.

Nous avons connu un homme fort riche et fort puissant, qui avait beaucoup d’amis ; on en a toujours beaucoup quand on est puissant et riche. Il leur faisait le meilleur accueil, il écoutait leurs plaintes, il s’occupait de redresser leurs griefs, de leur procurer des plaisirs. Mais il interdisait aux gens qu’il aimait d’entrer en liaison les uns avec les autres, et son ombrageuse jalousie fomentait entre eux des mésintelligences. Il entendait que chacun de ses amis lui appartint tout entier. Il y a quelque chose de cela dans les procédés de M. de Bismarck ; sa bienveillance nous est acquise à la condition que nous ne nous lierons avec personne. Dans l’intérêt de sa sûreté, il nous condamne à l’éternel isolement, et s’il fait des vœux pour la conservation de la république française, c’est qu’il estime que le régime républicain ; est le plus propre à nous empêcher de contracter des alliances. Sur bien des points, il a étonné le monde par les variations de sa pensée ; mais en matière de politique étrangère, il a peu varié, ses principes sont des axiomes. « La situation de la France, lit-on dans une de ses dépêches datée de 1872, est certainement de telle nature qu’il est difficile et peut-être impossible, même pour le diplomate le plus habile, de porter un jugement éclairé sur l’état de ce pays. Cette difficulté, ajoutait-il, est encore augmentée par le caractère impressionnable et irritable de la nation, défaut dont les hommes d’état français les plus habitués aux affaires se ressentent plus que les hommes d’état allemands ou anglais. » Nonobstant, il s’était fait son idée dès ce temps-là, et par son ordre M. de Balan écrivait au comte Arnim : « Une France constituée monarchiquement nous offrirait des dangers plus grands que ceux que Votre Excellence voit dans l’influence contagieuse des institutions républicaines. Ce serait dépasser la mesure que d’avancer que nous ne saurions accepter en France une autre forme de gouvernement que