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souvent la première. Ainsi la lettre du 12 août, qui prescrit d’attaquer Sierck et Longwy, est pleine de réticences, de sous-entendus ; le 20, il n’est plus question que de quartiers de rafraîchissement pour les troupes ; enfin, le 29, le roi donne des ordres précis pour le licenciement de plusieurs régimens en annonçant qu’ils seraient bientôt remplacés par de nouvelles levées (on sait ce que valent de telles promesses), et, le même jour, il met le duc d’Anguien en garde contre une attaque de forces ennemies récemment concentrées et qu’on n’estimait pas à moins de vingt-deux mille hommes. Anguien, cependant, achevait ses dernières opérations, complétait ses préparatifs pour mettre les troupes en quartier, cherchait à rencontrer le duc d’Angoulême, désigné pour commander sur la frontière après son départ et à qui la goutte faisait manquer tous les rendez-vous. Cheminant entre Thionville, Metz et Sierck, M. le Duc écrivait à Mazarin, il insistait sur la nécessité de ne pas terminer la campagne sans avoir puissamment assisté Guébriant, et sur l’urgence de lui assurer la coopération des Hessois et des Suédois réunis. Il était déjà tard ; peut-être était-il encore temps de modifier les résolutions prises, de suspendre les ordres donnés pour le licenciement d’une partie des troupes et la mise en quartiers des autres. Mais le cardinal remercia Anguien de ses avis (3 septembre) et l’assurant que toutes les mesures étaient prises, lui fit expédier l’ordre de renoncer à l’opération de Longwy, d’envoyer un détachement de deux mille hommes en Allemagne et de faire occuper au reste de l’armée les quartiers déjà indiqués (ordre du roi du 4 septembre). Ce même jour, M. le Duc prenait Sierck. Dès qu’il reçut les nouvelles instructions de sa majesté, il en assura l’exécution et, malgré l’urgence de ses affaires, ne prit la route de Paris qu’après avoir pourvu à tout (12 septembre).

Il y avait plus d’un mois que parens, amis, serviteurs le pressaient de revenir à la cour, de ne pas épuiser ses forces dans des opérations secondaires ; il avait assez tenté la fortune ; la victoire de Rocroy et la prise de Thionville suffisaient pour une campagne. Sierck et Longwy[1], deux bicoques, n’étaient pas des conquêtes dignes de lui, son père le disait sans ambages, et le premier ministre l’insinuait entre mille complimens[2]. Dans toutes leurs lettres, M. le Prince, Mme la Princesse, le duc de Longueville reprochaient à M. le Duc de trop négliger ses intérêts, de solliciter des faveurs pour tout le monde sans rien exiger pour lui-même : « Vous laissez passer le moment, lui répétaient ses correspondans ; on paie

  1. Longwy n’avait pas encore été transformé par Vauban.
  2. Mazarin à M. le Duc, 24 août.