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malades à l’infirmerie, il est vrai ; mais elles ont leurs enfans à la maison, leurs relations, leurs plaisirs, leurs devoirs de société ; si elles consacrent une partie de leur temps au soulagement d’incurables misères, si elles abandonnent spontanément les raffinemens de leur existence pour venir panser des cancers et laver des dartres rongeantes, c’est qu’il leur plaît de faire ainsi pour obéir aux impulsions de la foi qui les anime.

L’œuvre est d’hier ; elle germe à Lyon à peu près à l’époque où les Petites-Sœurs des pauvres commencent à Saint-Servan leur apostolat de charité ; mais nul prêtre ne l’inspire ; elle est conçue tout entière par une femme veuve, que la douleur et les regrets conduisent à l’amour de ce qui souffre et au sacrifice de soi-même. Elle était née à Lyon le 17 juin 1811 et s’appelait Jeanne-Françoise Chabot ; son père, négociant de quelque aisance, lui fit donner l’éducation qui suffisait alors aux filles de la bourgeoisie moyenne. Elle me paraît avoir été douée d’une nature exubérante ; elle a été extrême dans le bien, elle aurait pu être excessive dans le mal ; elle devait être passionnée, « de premier jet, » passant avec rapidité de la résolution à l’action, ne réfléchissant guère et sautant volontiers par-dessus les obstacles, dont elle ne mesurait pas la hauteur ; elle était de celles dont on dit familièrement : « Mauvaise tête et bon cœur. » Lorsque l’âge fut venu de l’apprentissage scolaire, on la mît au couvent de la Visitation. Elle n’y fut point docile ; elle regimbait, je crois, contre la règle, elle chansonnait les religieuses et n’était point matée par les châtimens. Un incident futile, amplifié sans doute par l’esprit étroit des sœurs, la délivra. Volontairement ou involontairement, elle avait brisé une cruche ; il paraît que le méfait était grave ; l’écolière fut punie plus que de raison et humiliée. L’enfant, blessée dans son bon sens et dans son esprit de justice, se révolta et déclara qu’elle mettrait le feu au couvent. Les béguines de la Visitation ne crurent pas devoir conserver une élève aussi récalcitrante, et elles la rendirent à sa famille. Vingt ans auparavant, Lamartine s’était sauvé d’un pensionnat lyonnais, où ses maîtres le martyrisaient.

La future mère des Dames du Calvaire chassée d’un couvent, il y a là de quoi faire réfléchir. J’y insiste, car le mal est permanent et ne semble pas près de prendre fin. Le but de l’instruction doit être de reconnaître les facultés de l’enfant, de les développer, de les féconder et de le mettre à même d’en tirer parti au cours de l’existence pour l’agrandissement intellectuel, l’accroissement de la richesse, ou les services à rendre au pays, dans l’état actuel de l’enseignement, quel que soit le principe en vertu duquel il est distribué, quelle que soit la bannière qu’il ait arborée, les