Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/377

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

profiter d’aucune ressource qui ne soit pas propre à l’exercice auquel il s’applique, et, quand un exercice financier laisse un excédent, cet excédent a un emploi tout indiqué, à savoir la diminution de la dette flottante ; comme c’est cette dette qui s’accroît de tous les déficits, il est juste qu’elle profite, pour s’alléger, de tous les excédens. La méthode suivie depuis quelques années a un autre défaut que celui de l’obscurité : elle pousse à des emprunts incessans et occultes. Quand on vient annoncer à nos députés que tel exercice (par exemple celui de 1881) se solde par un excédent de recettes d’une centaine de millions de francs et que cette somme est à leur disposition, ils ne se rendent aucun compte de ce qu’ils font en en disposant, ils s’imaginent naïvement qu’il se rencontre quelque part, dans quelque caisse, une somme nette et liquide d’une centaine de millions en or ou en billets de banque, et que, en affectant cette somme à des dépenses diverses, ils ne modifient en rien la situation du Trésor ; c’est une grande erreur. Cet excédent, qui d’ailleurs la plupart du temps est fictif, n’existe pas sous une forme matérielle et tangible ; quand on l’affecte à des dépenses quelconques, c’est exactement comme si l’on décidait que la dette flottante, au moment où l’on émet ce vote, sera accrue d’âme centaine de millions de francs. Ainsi, quand on dit qu’un budget dont l’équilibre est difficile recevra 50, 60 ou 80 millions des reliquats des exercices antérieurs, cette façon de parler signifie, en réalité, que ce budget empruntera à la dette flottante 50, 60 ou 80 millions et la grossira d’autant.

Il n’est pas de pire condition pour se conduire que d’être aveugle, et il n’est pas de plus sûr moyen de devenir aveugle que de vivre dans les ténèbres. Les ténèbres financières sont encore grossies par la lenteur du règlement des budgets. Les anciennes règles qui il est vrai, n’ont jamais été strictement suivies, le sont de moins en moins. Notre législation budgétaire, œuvre principalement de la restauration, s’est montrée singulièrement prévoyante. C’était une sérieuse mesure de contrôle que l’on voulait prendre, quand par la loi du 15 mai 1818, on ordonnait que le règlement définitif des budgets serait, à l’avenir, l’objet d’une loi particulière qui devrait être proposée aux chambres, avant la présentation de la loi annuelle du budget. Le projet de loi de règlement ou loi des comptes doit régulièrement être présenté par le gouvernement aux chambres dans les deux premiers mois de l’année qui suit la clôture de l’exercice, soit avant le 1er mars 1883 pour le budget de 1881, lequel est clos au 31 août 1882. Jamais ces délais ne sont observés ; la loi des comptes ne paraît plus qu’une formalité sans importance ; nos chambres, satisfaites d’avoir voté des budgets tels qu’aucun peuple civilisé n’en a connu, s’endorment ensuite et n’y songent plus ;