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le faire, au moins, veut-il le faire et n’y épargne-t-il ni ses soins, ni son temps, ni l’argent de la maison ; il est ce directeur dont il parle, qui « recommence vingt fois la besogne, » qui « cherche, étudie, compare le mouvement de chaque scène, » jusqu’à ce qu’il soit à peu près content de l’effet ; il offre toujours l’exemple de la conscience, et le diable serait contre lui qu’il offrirait, quelquefois l’exemple du succès. Assez de gens peuvent profiter à ses leçons pour que nous ne le découragions pas de les donner.

Sur le décor et le costume, il est à peine besoin d’insister. On n’admettrait même, plus les héros presque immatériels du théâtre classique dans une architecture et sous des vêtemens dont la convention s’éloignerait trop de la vraisemblance. Agamemnon, Joad ou les Horaces, dans une perspective à la Le Nôtre, nous paraîtraient presque aussi déplacés que dans une gare de chemin de fer. Achille sous une perruque Louis XIV, Auguste affublé de cet « habit à la romaine » que le grand roi portait dans les carrousels, nous sembleraient presque aussi ridicules qu’en redingote ou en frac Même les décors et les costumes composés d’après l’antique par des dessinateurs de l’école de David, par des artistes épris de la statuaire et qui négligent comme frivole le menu détail de l’architecture, du mobilier ou du vêtement, même ceux-là qu’on peut trouver fort bien imaginés pour ces personnages qui ne sont proprement, à coup sûr, ni des Grecs ni des Romains, ceux-là même bientôt ne nous donneront plus l’illusion scénique. L’antiquité nous est devenue plus familière : il suffit que ces personnages se nomment Grecs et Romains, pour que bientôt nous ne supportions plus de les voir autrement que dans des décors et des costumes que M. Schliemann et M. Duruy déclareront exacts. Au moins on n’accepterait plus de voir joueur Tartufe et le Misanthrope en habits Louis XV et Louis XVI, comme on le lit pour Tartufe jusqu’en 1829, pour le Misanthrope jusqu’en 1837 ; pas plus que de voir jouer l’Épreuve ou le Mariage de Figaro, avec les costumes de l’empire et de la restauration. Qu’on observe l’époque et le lieu de l’action lorsque l’un et l’autre sont marqués dans l’ouvrage ; la date et la patrie de l’ouvrage, lorsque la scène se passe dans le temps et dans le pays de l’auteur, voilà ce que nous exigeons chaque jour avec plus de rigueur. Est-il besoin de répéter que le décor et le costume doivent convenir aussi à la condition, aux mœurs, au caractère du personnage et même à sa situation particulière dans chaque scène ? On connaît ce trait de Molière entrant chez sa femme, le soir de la première représentation de Tartufe et la trouvant parée de ses plus beaux atours : « Comment donc, mademoiselle, s’écrie-t-il, que voulez-vous dire avec cet ajustement ? Ne savez-vous pas que vous êtes incommodée dans la pièce ? et vous voilà éveillée et ornée comme si vous alliez à une fête ! Déshabillez-vous vite, et prenez un habit convenable à la situation où vous devez être. » Le salon de l’Avare ne sera pas le