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avantageuse pour eux. Ils étaient presque tous misérables. Nulle part leur succès n’avait été en rapport avec les sacrifices que l’état s’était imposés… » — « En Algérie, ajoutait avec raison M. de Tocqueville, faisant, à propos de circonstances du moment, une réflexion, générale malheureusement applicable à toutes les tentatives de colonisation en Algérie, l’état, qui n’a reculé devant aucun sacrifice pour faire de ses propres mains la fortune des colons, n’a presque pas songé à les mettre en position de la faire eux-mêmes[1]. »

Les conclusions du rapport, rejetant en bloc le projet de loi pour l’établissement de camps agricoles, avaient été acceptées à l’unanimité par les membres de la commission. Au cours des débats engagés sur les crédits extraordinaires de l’Algérie, débats pendant lesquels les dispositions de la chambre s’étaient clairement manifestées, le nouveau ministre de la guerre, le général Trézel, vint déclarer à la tribune qu’une ordonnance royale du 11 juin 1847 avait prononcé le retrait du projet de loi sur les camps agricoles. C’était l’enterrement définitif du plan que le maréchal avait toujours choyé avec une tendresse toute particulière. Nul doute que l’échec ne lui en ait été. fort sensible. Peut-être en voulait-il un peu au ministère de ne l’avoir pas très vigoureusement défendu et de l’avoir si vite et trop facilement abandonné. Toujours est-il que trois semaines plus tard le maréchal Bugeaud abandonnait l’Algérie pour n’y plus revenir.

Ajoutons qu’après 1848, le temps et de plus mûres réflexions aidant, le maréchal parut lui-même assez revenu des idées dont il avait été le plus ardent promoteur. Dans une brochure, publiée à Lyon en 1849, il n’a pas hésité à reconnaître avec une sincérité bien placée dans la bouche du glorieux vainqueur qui avait rendu tant de signalés services à notre colonie, quels déboires lui avaient causés les trois centres militaires où la fantaisie lui avait pris de rendre obligatoire, pour ses soldats, le travail en commun. Il faut l’entendre raconter d’une façon piquante l’accueil glacial qu’à sa première visite il rencontra de la part de ces hommes habitués à le saluer de leurs acclamations. Il les trouva, sur le seuil de leurs portes, mornes et presque impolis. Il ne recueillit que des plaintes. Au lieu d’un surcroît de production, qu’il avait cru de voir résulter du travail en commun, c’était l’émulation dans la paresse qu’il avait involontairement provoquée. « Les socialistes, affligés de voir souvent la misère à côté de l’aisance et même de la richesse, poursuivent la chimère de l’égalité parfaite. Ils croient, ajoutait tristement le maréchal en se rappelant, sans doute au lendemain des journées révolutionnaires de Paris, le spectacle que lui avaient naguère offert les trois villages de sa création, ils croient l’avoir trouvée dans

  1. Rapport de M. de Tocqueville. (Moniteur de 1847, page 1446.)