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cette femme, si cet homme est avare ou prodigue, s’il est fourbe ou loyal, si cette femme a un naturel aimable ou maussade ; car il y a bien des variétés dans la catégorie des nerveux et dans celle des sanguins ; ce sont là. des désignations toutes de surface et qui ne disent pas grand’chose.

L’humeur n’est pas non plus le caractère. Ce mot désigne plus particulièrement une disposition du tempérament ou de l’esprit, mais d’ordinaire une disposition passagère, accidentelle. On est, selon les jours et les momens, de bonne ou de mauvaise humeur. L’humeur est essentiellement variable et fugitive, comme le remarque M. Lafaye[1], qui ajoute qu’on soutient son caractère, qu’on ne soutient pas son humeur, sans doute parce qu’elle dépend de quelque accident intérieur, de quelque état momentané de complexion ou de santé. C’est ce qui a fait dire à La Rochefoucauld que « les fous et les sottes gens ne voient que par leur humeur. » Ne craignons pas de consulter toujours sur ces nuances les bons écrivains. C’est précisément cela qui fait leur différence avec les médiocres ; il y a chez eux un tact, une intuition de fine psychologie qui peut guider la science dans ses observations, éclairer ses pressentimens. La Bruyère a bien raison : « Dire d’un homme colère, inégal, querelleur, chagrin, pointilleux, capricieux : c’est son humeur, ce n’est pas l’excuser, comme on le croit. » Et Jean-Jacques Rousseau oppose avec bonheur deux traits de sa physionomie dans ce contraste où il y a tout autre chose qu’une antithèse de mots : « Mes malheurs n’ont point altéré mon caractère, mais ils ont altéré mon humeur et y ont mis une inégalité dont mes amis ont encore moins à souffrir que moi. » Dans tous ces exemples se marque un sens psychologique très délicat et très fin.

Le naturel est le caractère naissant, la donnée première du caractère ; il lui donne sa base psychologique, si je puis dire, comme le tempérament lui donne sa base physique. C’est, selon M. Littré, la manière d’être morale, telle qu’on la tient de la nature. On ne peut mieux dire. La variété des naturels est inépuisable. Comment décrire toutes les diversités possibles de naturels, bons ou mauvais, honnêtes ou pervers, dociles ou réfractaires, laborieux ou indolens, généreux ou égoïstes ?

On peut cependant introduire un certain ordre dans cette multitude en apparence confuse, si l’on remarque qu’il y a pour certaines classes de naturels un signalement commun : par exemple, la prédominance des instincts et des désirs relatifs à la vie physique donnera le gourmand, le peureux, le paresseux, le libertin ; la transformation de ces instincts par la réflexion produira l’égoïste,

  1. Dictionnaire des synonymes.