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autorisé à le traiter dans de vastes proportions. Ces proportions deviennent purement et simplement ridicules appliquées à la niaise vignette de M. Giron. Une demoiselle a la mode passe devant l’église de la Madeleine, mollement étendue dans un huit-ressorts que traînent deux chevaux de pur-sang. À quelques pas de la voiture, une femme du peuple se promène avec ses enfans ; elle reconnaît sa sœur dans la jolie fille et s’arrête pour lui faire les cornes. Au premier plan, à droite, une jeune femme vue de dos choisit un bouquet dans la charrette d’une marchande de fleurs ; au fond se croisent les victorias, les omnibus et les cavaliers. Ce sujet piquant est digne de feu Biard. Encore Biard n’eût-il pas perdu à le peindre trente mètres de bonne toile ; — un « panneau de dix » lui eût suffi. Sauf l’exécution franche et vigoureuse de la femme qui achète des fleurs, il n’y a rien à louer dans tout ceci. Le tableau est peint selon la fameuse formule ; blanc et mat, et selon le principe du « plein air, » c’est-à-dire sans perspective aérienne. Aucune figure n’est à son plan. Une femme du vrai monde qui est assise au fond de sa Victoria est sans doute bien confuse de se voir transportée par un maladroit et insolent effet de perspective dans le huit-ressorts même de la drôlesse. Les chevaux escaladent les marchepieds des coupés et prennent pour des mangeoires les capotes renversées des calèches, les cavaliers chevauchent sur les degrés de l’église et les omnibus sortent du péristyle. Remarquons encore que la place de la Madeleine ne paraît pas avoir dix mètres de large, qu’il n’est tenu nul compte des localités, que l’asphalte des trottoirs, le macadam de la chaussée, les pierres de l’église sont exactement du même ton, et étonnons-nous qu’il se trouve des gens pour vanter dans cette toile une impression de vérité.

Le Salon carré du Louvre, de M. Louis Béroud, est aussi un tableau de genre, un croquis de journal illustré, avec des figures de grandeur naturelle. Les mérites de la facture rachètent la pauvreté ou la bizarrerie de la conception. La peinture est franche, large, solide, sans négligences ni escamotage. Les figures ressortent en plein relief, le vaste Salon carré paraît « grand comme nature, » les fonds s’éloignent avec une singulière vérité optique, l’air circule et la lumière vibre. M. Béroud semble avoir fait une étude très approfondie de la perspective linéaire et de la perspective aérienne. N’aurait-il pas peint quelquefois des décors de théâtre ? Les Noces de Cana, qu’on voit presque en entier, le Charles Ier et les autres chefs-d’œuvre sont enlevés d’une touche vive et lumineuse et nous apparaissent dans leur ton juste et leurs valeurs particulières. Mais voyez là leçon que s’est donnée à son insu M. Béroud et dont il profitera, nous le croyons. Si vigoureusement peints que