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lui prouve qu’il n’a pas cherché à représenter Mlle Krauss chez elle, mais Mlle Krauss sur la scène de l’Opéra, non point la femme, mais la cantatrice qui incarne tour à tour en elle les héroïnes du drame lyrique. En résumé, c’est un portrait largement peint et qui a grand air. Vêtu d’un veston de velours violet, le comte de Beust est, au contraire, tout à fait chez lui. Mme Louise Dubréau a bien marqué le fin sourire et l’énigmatique physionomie de l’homme d’état. Médite-t-il une dépêche ou compose-t-il un concerto ? pense-t-il à l’Opéra ou à la triple alliance, est-ce Yradier ou Metternich ? Une autre femme peintre, Mlle Abbéma, efface le fâcheux souvenir de ses Quatre Saisons du dernier Salon par un bon portrait de M. Auguste Vitu et par un portrait de Mlle G., que recommandent non-seulement la fraîcheur du coloris, mais encore une exécution sérieuse.

Le petit Portrait de M. et Mme Alphonse Daudet, par M. Montégut, est à la fois un joli tableau de genre et un curieux document d’histoire littéraire. Le poète lit à sa femme le manuscrit de son dernier-roman. Ils sont assis l’un à côté de l’autre, devant une table-pupitre où une fleur s’épanouit dans un vase de cristal au milieu des livres et des papiers : Mme Daudet, au premier plan, le corps droit, la tête de profil ; Alphonse Daudet, également de profil, mais un peu incliné en avant, vers le manuscrit qu’il tient sur ses genoux. Une bibliothèque d’ébène à hauteur d’appui règne au fond de la pièce sous une tenture de cuir de Cordoue décorée de tableaux et de dessins. Ce fond-là vaut bien comme intérêt un rideau rouge de convention ou un frottis de bitume. Les romanciers et les historiens philosophes parlent sans cesse des « milieux. » N’est-ce point surtout aux peintres à montrer ces « milieux ? » N’ajouteraient-ils pas à la physionomie de leur modèle, ne la compléteraient-ils pas en montrant l’individu dans son intérieur, entouré des meubles, des livres, des objets d’art, qu’il a rassemblés, qui sont les témoins de sa vie, les reflets de ses goûts et de sa nature ? L’intérieur, mais c’est l’homme même ! Une visite de cinq minutes en apprend plus sur une personne qu’une conversation de deux heures.

Ce portrait de jeune fille dans un paysage de forêt, qui a de la profondeur, est le premier envoi au Salon d’un élève de M. Delaunay, M. Maurice Desvallières. Le dessin un peu sec est serré et précis. L’arrangement du costume, l’attitude de la figure ont une grâce simple et franche qui frappe et qui séduit. C’est un bon début, sérieux et point tapageur. Toutefois que M. Desvallières garde son jeune talent des suggestions de la nouvelle école pseudo-impressionniste. Il y a dans ce portrait certaines fleurettes au premier plan et un éclairage systématique qui nous inspirent quelques appréhensions.