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PROMENADES ARCHÉOLOGIQUES.

suit la mort. Le souci de la sépulture, qui faisait le tourment de tant de personnes, le laissait fort indifférent. « Je ne me préoccupe pas d’une tombe, disait-il : si l’on néglige d’ensevelir quelqu’un, la nature s’en charge. »

Non tumulum euro ; sepelit natura relictos.

Ce vers est assurément le plus beau qui nous reste de lui. C’est dans le même esprit de contradiction hautaine qu’il affectait de dédaigner tous ces honneurs après lesquels couraient ses arnis. Il savait bien que ce mépris des opinions vulgaires n’était pas de nature à nuire à sa renommée. La foule est ainsi faite qu’elle n’aime guère ceux qui pensent autrement qu’elle, mais qu’elle ne peut se défendre de les admirer ; aussi y a-t-il des gens qui se cachent pour se faire chercher et qui pensent que l’on est quelquefois plus en vue dans la retraite qu’au pouvoir. Mécène était peut-être de ce nombre, et l’on peut soupçonner qu’il entrait dans son attitude de politique dégoûté un petit calcul de coquetterie. Non-seulement l’obscurité volontaire, à laquelle il se condamnait, ne lui faisait pas perdre grand’chose, mais il pouvait penser qu’elle servait mieux les intérêts de sa gloire que les plus brillantes dignités. Quand il n’est resté des hommes d’état qu’un grand nom, qu’on pense qu’ils ont fait beaucoup sans savoir exactement ce qu’ils ont fait, on est souvent tenté de leur attribuer ce qui ne leur appartient pas et de les croire plus importans encore qu’ils ne l’étaient. C’est précisément ce qui est arrivé pour Mécène. Deux siècles après lui, un historien de l’empire, Dion Cassius, lui prête un long discours dans lequel il est censé suggérer à Auguste toutes les réformes que ce prince a dans la suite accomplies ; à ce compte, c’est au chevalier romain, et non au prince, qu’il faut faire honneur des institutions qui ont gouverné le monde pendant tant de siècles. On voit que si c’est par calcul que Mécène est resté dans l’ombre, ce calcul a parfaitement réussi et que sa conduite habile a du même coup assuré sa tranquillité pendant sa vie et accru sa réputation après sa mort.

Quoi qu’il en soit des raisons qui le poussaient à s’éloigner de la vie publique, il est sûr que, s’il refusait les honneurs, il n’avait pas l’intention de se condamner à la solitude. Ce n’était pas un de ces philosophes qui, comme le sage de Lucrèce, n’ont d’autre distraction que de regarder, du haut de leur retraite austère, les hommes « qui cherchent à tâtons le chemin de la vie ; » il entendait mener une existence joyeuse ; il voulait surtout se faire une société d’élite. C’est ce qui ne lui aurait pas été fort aisé s’il s’était mêlé davantage aux affaires. Un homme politique n’est pas libre de