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PROMENADES ARCHÉOLOGIQUES.

quand on est forcé d’y vivre, : il suffit d’en sortir pour les regretter ! — L’esclave d’Horace, le jour où, abusant de la liberté des saturnales, il dit à son maître tant de vérités désagréables, ne manque pas de lui reprocher de ne jamais se plaire où il est :

Romae rus optas, absentem villicus urbem
Tollis ad astra levis.

Lui-même s’en voulait beaucoup de son inconstance ; il s’accusait « de n’aimer que Rome, quand il étaità Tibur, et de songer à Tibur, dès qu’il se trouvait à Rome. » Il finit pourtant par se guérir entièrement de cette légèreté qui l’impatientait. C’est un témoignage qu’il se rend dans l’èpître qu’il adresse à son fermier, et où il essaie de le convaincre qu’il n’est pas nécessaire, pour être heureux, d’avoir un cabaret dans son voisinage. « Quant à moi, lui dit-il, tu sais que je suis aujour’i’hui conséquent avec moi-même, et que je ne m’éloigne d’iciqu’avectristessetoutes les fois que d’odieuses affaires me rappellent à Rome. » Sans doute il s’arrangeait pour séjourner de plus en plus dans sa maison de campagne ; il espérait qu’un jour pourrait venir où il lui serait possible de ne plus guère la quitter, -il comptait sur elle pour porter plus légèrement le poids des dernières années.

Elles sont lourdes, quoi qu’on fasse, et l’âge ne vient jamais sans amener avec lui beaucoup de tristesse. C’est d’abord une nécessité qu’on laisse, quand la vie se prolonge, beaucoup de ses amis sur la route. Horace en a perdu auxquels il était très tendrement attaché ; il a eu le malheur de survivre dix ans à TibuUe et à Yirgile. Que de regrets n’a pas dû lui coûter la mort du grand poète dont il disait « qu’il ne connaissait pas d’âme plus candide que la sienne et qu’il n’avait pas de meilleur ami ! » Le grand succès qu’obtint l’œuvre posthume de Virgile ne dut le consoler qu’à moitié de sa perte, car il regrettait en lui l’homme autant que le poète. Mécène aussi, qu’il aimait tant, lui donna de grands sujets de tristesse. Ce favori de l’empereur, ce roi de la mode, dont tout le monde enviait la fortune, finit par être très malheureux. On a beau prendre toute sorte de précautions pour s’assurer du bonheur, fuir les affaires, chercher le plaisir, amasser des richesses, s’entourer de gens d’esprit, réunir autour de soi tous les agrémens de l’existence, les ennuis et la douleur, quelque effort qu’on fasse pour leur fermer la porte, trouvent le moyen d’entrer. Ce qu’il y a de plus triste, c’est que Mécène fut d’abord malheureux par sa faute. Il avait eu le tort, — i : n homme si prudent et si sage ! — d’épouser sur le tard une coquette et d’en devenir très amoureux. Elle lui donna des rivaux, et, parmi eux, l’empereur lui-même, dont il n’osait pas être jaloux. Lui, qui avait tant