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ardens et les plus brillans disciples de Jefferson et semblait destiné à occuper l’un des premiers rangs dans le parti républicain lorsque des revers imprévus le forcèrent à l’âge de quarante ans de recommencer sa carrière. Il se fixa, en 1803, dans la capitale de la Louisiane, que la France venait de céder aux États-Unis : il mit au service du nouvel état ses talens et sa science de jurisconsulte et fut chargé de rédiger un projet de lois criminelles, de codifier l’ancienne législature civile française maintenue en vigueur, et d’étudier un système de réforme pénitentiaire. Ses succès au barreau et des spéculations heureuses sur les terres lui permirent en peu d’années de reconstituer sa fortune, et il ne tarda pas à acquérir une réputation et une autorité considérables. Il était à la tête du comité de défense de la Nouvelle-Orléans lorsque Jackson prit possession de son commandement et le choisit pour aide-de-camp.

Ce fut le 2 décembre 1814 que le nouveau général fit à la tête de son état-major son entrée dans la ville qu’il était chargé de défendre. Un témoin oculaire a fait de cette entrée un pittoresque tableau[1] : « Le chef de cette petite troupe de cinq à six personnes, dit-il, était un homme de haute taille, se tenant droit et portant sur son visage l’empreinte de la décision et de l’énergie en même temps que de l’inquiétude et de la préoccupation. Il paraissait fatigué et malade : ses cheveux étaient gris ; il était maigre comme un homme qui sort d’une longue et douloureuse maladie. Mais le fier et brillant regard de son œil de faucon révélait un esprit qui dominait les infirmités de son corps ; ses vêtemens étaient simples et usés jusqu’à la corde ; sa tête était couverte d’un petit chapeau ; ses épaules revêtues d’un petit manteau bleu espagnol ; ses jambes emprisonnées dans de grandes bottes de dragons qui n’avaient pas été cirées depuis longtemps. »

Il fut reçu par le gouverneur et par le maire Nicolas Girod et prononça une courte allocution que Livingston traduisit aussitôt en français et qui excita un véritable enthousiasme ; le soir, son ami lui offrit un grand dîner auquel il assista en brillant uniforme, et pendant lequel il étonna par la dignité de son maintien et le charme de ses manières la société élégante, que l’extrême simplicité de son entrée avait quelque peu déconcertée.

Pendant qu’il faisait à la hâte les premiers préparâtes de défense, une flotte anglaise de cinquante vaisseaux armés de mille canons amenait à l’embouchure du Mississipi un corps expéditionnaire de vingt mille hommes commandé par sir Edward Packenham, beau-frère du duc de Wellington et l’un des meilleurs officiers de la

  1. Alex. Walker, Jackson and Nw-Orleans.