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fois engagé dans la voie ou il est entré, ne refusait point absolument sans doute de compléter ce qu’il avait commencé, de faire des concessions nouvelles ; il n’a peut-être pas voulu se prêter à tout ce qu’on lui demandait à Rome, faire trop ostensiblement jusqu’au bout son « voyage de Canossa. » Ce qui est certain, c’est qu’au dernier moment, prenant son parti comme il le fait toujours, laissant de côté les négociations avec la curie romaine, et agissant de sa propre initiative, il a présenté son projet qui va être discuté dans le Landtag prussien. Tel qu’il est, ce projet nouveau, sans être l’abrogation expresse de la législation de mai, est visiblement calculé de façon à désintéresser les catholiques allemands en leur rendant la liberté de leur culte, en dégageant leur église des dures contraintes qui leur étaient imposées. Le chancelier, en procédant ainsi, se donne l’avantage de paraître accorder spontanément à peu près tout ce qu’on lui demandait, de n’avoir aucun engagement avec Rome, d’enlever au « centre » parlementaire le drapeau de ses incessantes revendications, — d’offrir, en un mot, la paix, une paix sérieuse, en restant libre. La tactique est sans doute habile. Il reste à savoir si elle réussira jusqu’au bout, s’il n’y aura pas des difficultés nouvelles soit avec le parlement, soit avec la cour de Rome. Dans tous les cas, le chancelier a fait certainement un pas décisif dans la voie de transaction où il est entré depuis quelques années, et, par son projet, il rompt définitivement avec cette politique de guerre religieuse qui n’a été au début qu’un faux calcul de son irascible génie, qui, en réalité, n’a servi ni ses desseins, ni son ascendant. C’est la fin du Culturkampf par la volonté de celui qui l’a inauguré, et l’exemple de M. de Bismarck devrait suffire à éclairer, à décourager les fauteurs d’une politique de persécution qui a toujours ses résipiscences, même quand elle est pratiquée par le plus hautain des hommes.

La position de M. de Bismarck entre tous les partis allemands se trouve désormais singulièrement modifiée. Elle est changée vis-à-vis des catholiques du centre, qui reçoivent une satisfaction ; elle est changée aussi vis-à-vis des nationaux-libéraux, dont le chancelier se séparé avec éclat, et un des signes les plus caractéristiques, les plus curieux de ce changement est la retraite d’un des chefs du parti national-libéral, de M. de Bennigsen, qui vient de donner sa démission de député de la chambre prussienne et du parlement allemand. M. de Bennigsen a eu souvent des entretiens avec M. de Bismarck ; il avait eu récemment une dernière conversation avec le chancelier, qui lui avait demandé de voter pour la loi ecclésiastique. Il avait consenti ; mais sa résolution n’a pas été approuvée par son parti, et, pour en finir avec une situation délicate qui pouvait devenir pénible, il a cru devoir se démettre à la fois et comme député au Reichstag et comme député au Landtag. M. de Bennigsen aura sans doute des occasions de rentrer dans la vie publique ; pour le moment, il laisse son parti dans un assez grand