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la couleur verte repose la vue. On prodiguait à l’intérieur les colonnes de marbre, les riches mosaïques, les images des dieux, les portraits peints, les bustes ou les statues des grands hommes, celles des orateurs et des poètes avec le scrinium à leurs pieds, comme le Sophocle du Latran[1]. Les collections précieuses de toute sorte, dactyliothèque pour les pierres gravées, pinacothèque pour les tableaux rares, cabinets pour les bronzes et pour ces vases d’argent et d’or que, dès le temps de César, on recherchait dans les sépultures grecques, terres cuites, bas-reliefs, orfèvrerie ciselée, ivoires, toutes ces richesses étaient groupées alentour comme pour attester la belle union de la science et des arts. Cette magnificence avait passé des collections privées aux bibliothèques publiques, à celle qu’Asinius Pollion avait édifiée d’après le vœu de César, à celles d’Auguste sur le Palatin et dans le portique d’Octavie, à celles de Vespasien et de Trajan. — Osymandias, le roi de Thèbes égyptienne, avait inscrit au-dessus de la porte de sa célèbre bibliothèque : « Trésor des remèdes de l’âme ; » la statue d’Auguste-Apollon, à l’entrée de la Palatine, indiquait le séjour des Muses. Il n’y a pas lieu de douter que la tradition de ces pensées morales en même temps que de ce noble luxe n’ait inspiré les papes lorsqu’ils ont, l’un après l’autre, accumulé autour de la Vaticane tant de brillans musées : c’est comme le triomphe du livre, dernière et suprême expression de l’intelligence. humaine, de qui relèvent à la fois les lettres, les sciences et les arts.

On a dit quelquefois, bien à tort, que la Vaticane n’avait jamais eu qu’à peine des catalogues, même pour son service intérieur, et que c’était une des causes du peu de communications que jadis on y obtenait. C’est méconnaître la solidité romaine. Cicéron disait qu’un bel ordre dans ses livres était comme une nouvelle âme ajoutée à sa demeure. Auguste recommandait un grand soin aux affranchis grammairiens qu’il avait pour bibliothécaires. Les bibliothèques des églises et couvens au moyen âge ont été pendant des siècles conservées avec ordre, de sorte que la Vaticane a hérité de longues et salutaires traditions. Dès le XVe siècle, c’est-à-dire dès le temps où elle a été vraiment constituée par Nicolas V et Sixte IV, elle a possédé des inventaires réguliers ; les savans hommes qui ont été successivement appelés à la diriger, Alemanni, Allacci, Contelori, Holstenius, les deux Marini, Angelo Mai, n’en étaient pas d’inactifs ou négligens gardiens. À l’avènement de Pie IX, il y avait, sans compter les inventaires partiels, dix volumes in-folio du catalogue des

  1. « Heureux Fannius, s’écrie Horace, qui se fera décerner une statue avec le scrinium, tandis que personne ne lira mes vers ! Beatus Fannius, ultro Delatis capsis et imagine, quum mea nemo Scripta légat ! » (Sat. I, IV.)