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Trois de ces questions, entre plusieurs autres, paraissent avoir, non-seulement à l’origine, mais jusque vers le milieu du XVIIIe siècle, préoccupé l’Académie. La première est de l’importance relative du dessin et de la couleur. Elle se posa dès les premières conférences, et, après que Le Brun eut parlé du Saint Michel, de Raphaël, Philippe de Champaigne ayant parlé de l’Ensevelissement du Christ, de Titien, on vit deux camps se former : les partisans de Raphaël et les partisans de Titien, les dessinateurs et les coloristes. À la quatrième conférence, la guerre éclata. Mignard, — Nicolas Mignard, non pas Pierre, qui n’était pas encore académicien, — parlant de la Sainte Famille de Raphaël, y avait loué particulièrement le maître « d’avoir terminé les figures de ses contours sur les parties qui leur servaient de fonds, sans s’être servi de reflets trop sensibles. » Quelqu’un de la compagnie, que Félibien ne nomme pas, prit feu là-dessus, et déclara « que, bien loin de condamner les reflets dans un ouvrage, ils y devaient être exactement observés ; que Titien avait toujours ainsi fait ; et que cette omission de reflets dans le tableau de Raphaël était un manquement qu’on ne saurait excuser. » Ce quelqu’un allait un peu loin. Aux séances suivantes, la discussion s’envenima. Un peintre aujourd’hui bien oublié, Blanchard le neveu, prit le parti de la couleur contre le dessin, de « l’école de Lombardie, » comme on disait alors, contre « l’école de Rome, » et Le Brun, au contraire, préoccupé surtout des exigences de l’enseignement, la cause du dessin contre la couleur. Le grand peintre était de ces hommes, on le sait, qui n’ont jamais raison modérément. Si l’on en croit Guillet de Saint-George, l’historiographe de l’Académie, et que l’on lise, comme il faut lire les historiographes, entre les lignes de son récit, les choses allèrent assez loin pour qu’il devînt utile ou prudent d’interrompre les conférences, et c’est même de ce temps-là qu’elles n’eurent plus lieu qu’à des intervalles assez irréguliers. À défaut des discours de Blanchard et de Le Brun, que nous a refusés M. Jouin, nous avons, dans une conférence de Testelin, qui fut prononcée en 1679, un résumé fort bien fait de toute la discussion. Il ne paraît pas que l’on y ait échangé des observations bien curieuses. L’argument des coloristes mérite néanmoins d’être relevé. C’est que « la fin de l’art étant d’imiter la nature,… la couleur en sa perfection représentait toujours la vérité, tandis que le dessin ne pouvait représenter que la possibilité. » On leur répondait que, justement, « sous prétexte de donner ainsi plus de force et d’éclat à leurs ouvrages, ils s’éloignaient entièrement de l’imitation du naturel, aussi bien dans la couleur que dans la forme. » Au fond, c’était déjà le mot fameux, que le dessin est la probité de la peinture. « Si l’on doit estimer les tableaux par la vraie et naturelle représentation des choses, il ne faut pas faire comparaison de ceux de Titien avec ceux de Raphaël, puisque Titien n’a jamais pensé en travaillant ses ouvrages qu’à leur donner de la beauté et à les farder, pour ainsi dire,