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achetés directement à Beaumarchais, l’un destiné à Mme de Beaumont, l’autre à son père.

Pour faire face à un pareil état de maison, le comte de Montmorin, en dehors de ses appointemens, s’élevant à 300,000 livres, y compris les gratifications, n’avait que 80,000 livres de rente qu’il touchait de ses intendans. Pour se rapprocher de ses amis, Mégret d’Etigny et de Sérilly, il venait de leur acheter, moyennant la somme de 730,000 livres, la propriété de Theil, non loin de Sens, tout près de Passy-sur-Yonne. Une aussi mauvaise administration conduisait infailliblement à la ruine, si la cassette royale n’eût pas été une ressource. Chacun des époux touchait en effet sur le Trésor une pension annuelle de 18,000 livres environ[1].

La comtesse de Montmorin, très ambitieuse pour sa famille, désirait que son mari obtînt le titre de duc héréditaire. La demande est accompagnée d’une note écrite de la main de Montmorin. Nous y apprenons qu’il avait refusé la grandesse pendant son ambassade en Espagne. Nous savons aussi par cette note que l’archevêque, premier ministre, traitant seul les affaires avec le roi et ayant supprimé tout rapport avec le monarque, avait froissé ses collègues. . Le pouvoir du cardinal de Brienne n’avait pas été cependant de longue durée. Avec une présomption aveugle, plus semblable à l’ineptie qu’au courage, il n’avait fait que presser le cours des événemens. Le comte d’Artois lui-même, sur les instances de la duchesse de Polignac, avait conjuré Louis XVI de renvoyer le premier ministre et de rappeler Necker.

Le comte de Montmorin se prêta d’autant plus volontiers à cette négociation qu’il n’avait pas à se louer de l’archevêque. Il lui avait donné dans deux circonstances, devant l’opinion, la responsabilité de fautes qu’il n’avait pas commises. On sait quel étonnement se produisit en Europe, en 1787, lorsqu’on apprit que le sultan avait fait enfermer le ministre de Russie aux sept tours et déclaré la guerre à Catherine[2]. Ce n’étaient plus, cette fois, les Russes qui menaçaient l’empire ottoman. M. de Ségur, notre ambassadeur à Saint-Pétersbourg, avait expédié un courrier au comte de Montmorin pour obtenir des instructions. La Prusse et l’Angleterre avaient fait jaillir les premières étincelles de ce feu qui pouvait embraser le monde. Sous l’influence prédominante du premier ministre, le comte de Montmorin n’avait pas pris de parti et s’était borné à prescrire une réserve qui n’était que de la faiblesse.

Mais ce fut en Hollande que la politique française subit la plus grave humiliation.

  1. Archives parlementaires, t. XIII (1re série).
  2. Mémoires du comte de Ségur, t. III.