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Montmorency, les Gramont, les Grillon, les Montmorin et quelques autres familles patriciennes savaient au contraire qu’on ne peut déchirer l’histoire où leurs noms et leurs services étaient à jamais gravés ; cette aristocratie peu nombreuse acceptait une pairie héréditaire ; mais la foule des gentilshommes de second ordre, anoblis de la veille soit par des lettres patentes, soit par des charges vénales, tenait surtout à s’associer aux privilèges des anciens gentilshommes. La vanité des gens de cette classe s’exerçait bruyamment sur ceux qu’ils appelaient leurs inférieurs, c’est-à-dire la nation, et ils furent bien plus intraitables que les grands seigneurs ; avec une seconde chambre où elle n’aurait pas eu la première place, la petite noblesse provinciale se crut en danger de perdre des distinctions qui ne faisaient qu’exciter des haines et des jalousies. Elle mit une obstination inouïe à repousser tout emprunt à la constitution britannique et elle versa dans cette théorie encore aujourd’hui à la mode et si dangereuse, avec ses apparences de profondeur, que de l’excès du mal sortirait le bien. Quant aux députés du côté gauche, irrités contre les privilégiés qui se séparaient constamment d’eux, redoutant le retour d’influences qu’ils avaient détruites avec une extrême énergie, voyant dans l’hérédité de la pairie une atteinte à la souveraineté du peuple, pleins de dédain, comme ce qui est jeune, pour l’expérience, pour le passé, et les idées étrangères, ils poursuivaient le rêve d’une royauté ancienne superposée à une démocratie illimitée.

Cependant les états-généraux s’étaient réunis. La veille de l’ouverture de la séance solennelle, les douze cents députés se rendaient en procession à l’église Saint-Louis ; la comtesse de Montmorin et sa fille Mme de Beaumont étaient placées à une fenêtre près de Mme de Staël. L’ardente fille de Necker se livrait tout haut aux plus vives espérances en voyant pour la première fois en France les représentai de ses volontés. Mme de Montmorin l’interrompit avec un ton décidé qui lui fit quelqu’effet : « Vous avez tort de vous réjouir ; il arrivera de ceci de grands désastres à la France et à nous. » On eût dit que la malheureuse mère pressentait les infortunes sans nombre qui devaient l’accabler.

Du 5 mai au 5 octobre, durant ces cinq mois où l’assemblée devint maîtresse du sort du pays, Montmorin se rapproche un peu de Mounier, et de plus en plus se mêle à la politique intérieure. Il s’efforçait de pallier les fautes de Necker, et se créait par la sûreté de son commerce avec lui des ennemis irréconciliables au sein de l’entourage du roi, de la reine et des princes.

Bertrand de Molleville et Alexandre Lameth racontent que, pendant la lutte entre les communes et les privilégiés sur la vérification des pouvoirs et à la veille du jour où le tiers-état s’érigea enfin