Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/292

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’enthousiasme populaire pour la personne de Louis XVI[1]. Qui, ce jour-là, comprenait que, dès ce moment, il n’y aurait plus, à proprement parler, de gouvernement monarchique ? Montmorin comme La Fayette pensait que le péril le plus urgent était le duc d’Orléans. Le 7 octobre, La Fayette lui avait demandé un rendez-vous chez une femme de beaucoup d’esprit, dans la société de laquelle ils s’étaient rencontrés souvent, Mme la marquise de Coigny. Là, après une conversation. que Mirabeau appelait très impérieuse d’une part et très résignée de I*autre, il fut résolu que le duc d’Orléans partirait pour Londres avec une mission donnée par Montmorin pour justifier le départ.

En éloignant Philippe-Égalité, les deux amis s’étaient mis d’accord pour écarter ce qu’ils pensaient être le danger le plus immédiat.

La mission du duc d’Orléans près du roi d’Angleterre est intéressante à étudier, La correspondance échangée avec Montmorin témoigne d’une rare intelligence et révèle une sagacité véritable de la part d’un prince que sa haine pour Marie-Antoinette allait absorber et dévorer. Montmorin lui avait remis comme instruction de savoir si l’intention de George III était de demeurer, en tout état de cause, spectateur passif de nos divisions, ou d’en tirer avantage en provoquant la guerre[2]. Le voyage du prince avait un autre objet : une fermentation extrême régnait en Belgique. Il s’agissait de pressentir les dispositions du cabinet de Saint-James pour le cas où les Belges essaieraient de se soustraire à l’autorité de l’empereur.

Comme le frère de M. de La Luzerne était ambassadeur en titre près la cour d’Angleterre, M. le duc d’Orléans devait d’abord le voir et lui confier le but de sa mission. Il s’en acquitta, en effet, avec autant d’exactitude que de pénétration. Très dévoué à l’alliance anglaise, partisan, alors que l’idée n’était pas encore mûre, d’un traité de commerce fondé sur le libre échange, vivant dans l’intimité du prince de Galles et bien renseigné par lui sur la politique étrangère, le duc d’Orléans aurait pu dans d’autres circonstances rendre d’éclatons services. Mais sa situation vis-à-vis du représentant officiel de son pays auprès du roi George ne tarda pas à devenir fausse. Il écrivait le 6 mars 1790 à ses amis MM. de Liancourt et Biron : « Je crois que la manière dont je pourrais être le plus utile ici, serait ou que M. de La Luzerne fût employé ailleurs, ou eût un congé et que je restasse à la tête des négociations, soit que j’eusse ou que je n’eusse pas le titre d’ambassadeur, avec un chargé d’affaires autre que M. de Barthélémy, qui me serait subordonné, et qui opérerait dans les mêmes vues et Les mêmes principes que

  1. Mémoires de La Fayette, t. II, p. 240.
  2. Correspondance de Louis-Philippe d’Orléans avec Montmorin, publiée par L. C. R. Paris, 1800.