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Necker l’insuccès des premières tentatives de réconciliation, Montmorin dit à Mirabeau : « Nous périssons, nous, l’autorité, la royauté, la nation entière. L’assemblée se tue et nous tue, et cependant, quelqu’important qu’il soit de la renvoyer, on ne peut tourner court. Que faut-il donc ? Temporiser, mais gouverner. Je veux relever l’autorité ; je veux consacrer toutes mes forces à ce but, vous le voulez vous-même. Les divers points de notre coalition sont faciles à arrêter. Je vous demande de m’aider : 1° à tracer un plan qui puisse faire finir l’assemblée sans secousses ; 2° à changer l’opinion des départemens, à veiller sur les élections, à repopulariser la reine ; 3° à me faire obtenir sa confiance. » Et avec une modestie égale à sa bonne foi, Montmorin ajouta : « Éclairez-moi, secondez-moi ! Je n’ai jamais rêvé sur la constitution des empires, ce n’est pas là mon métier ; je le ferais mal. Il me faut des gens habiles et je ne compte que sur vous. »

Mirabeau, très ému, prit les mains de Montmorin : « Ce n’est pas le ministre du roi, forcé quelquefois de jongler, que je viens d’entendre, répondit-il ; c’est un homme d’honneur qui m’a parlé et qui ne veut pas me tromper. Je vous servirai, je vous seconderai de tout mon pouvoir. » A partir de ce jour, l’intimité des deux côtés fut absolue. Ranimé et encouragé, Mirabeau (23 décembre 1790) rédigea et compléta son plan, qui porte le titre d’Aperçu sur la situation de la France et les moyens de concilier les libertés publiques avec l’autorité royale. C’est à la fin de cet écrit qu’il se livre aux plus sinistres prévisions sur l’avenir de la famille royale. Montmorin, de son côté, mettait un sérieux esprit de suite à surmonter les obstacles qui se présentaient.

Ces obstacles étaient de diverse nature. L’absence d’énergie du malheureux Louis XVI n’était pas le moindre. « Lorsque je lui parle de ses affaires et de sa position, écrivait Montmorin au comte de La Marck, il semble qu’on lui parle de choses relatives à l’empereur de Chine. » La médiocrité de son esprit ne s’atténuait pas, même dans ses rapports avec l’homme d’état le plus éminent. Et, en effet, Mirabeau, à travers les éclairs de son génie, comprenait que l’anéantissement du clergé, des parlemens, des pays d’état, de la féodalité, des privilèges de tout genre, était une conquête commune à la nation et au monarque. C’était sur ces immenses ruines qu’il voulait bâtir. La révolution était faite, mais la constitution ne l’était pas, et Mirabeau, se sentant pour la première fois véritablement soutenu, songeait à établir un contrepoids entre les pouvoirs ; sa plus vive préoccupation était le conflit perpétuel entre le roi et le corps législatif. Ses conversations avec Montmorin portaient principalement sur ce sujet. Mme de Beaumont, parlant plus tard à Chateaubriand de ce douloureux passé, revenait fréquemment sur cette courte période