Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/316

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pétition qu’il s’agissait d’adresser au parlement. Plusieurs de ses membres estimaient que, pour aborder plus sûrement le débat, il serait sage de ne solliciter d’abord que la réduction partielle du tarif. Cobden insista vigoureusement pour que la chambre de commerce réclamât l’abolition totale des droits sur les céréales sans atermoiemens ni réserves, et, après une séance très orageuse, il obtint gain de cause. La pétition, telle qu’il l’avait rédigée, fut envoyée à la chambre des communes, appuyée par M. Villers dans la séance du 18 février 1839 et repoussée par une majorité considérable. Cet échec était prévu, mais la question se trouvait engagée devant le parlement ; elle s’imposait à l’attention publique, aux discussions de la presse et à la vigilance des partis. Dès ce moment, l’association de Manchester redoubla d’efforts et de sacrifices pour étendre son action ; elle favorisa dans tous les districts manufacturiers la création de comités correspondans, et, pour mieux marquer son caractère de solidarité militante, elle prit le nom de liguer elle s’appelle désormais « la ligue contre les lois céréales » (Anti Corn-Law League.)

La ligue était une œuvre collective à laquelle chacun apportait sa part d’intérêts et de passions. Sans nul doute, le plus grand nombre des adhérens se préoccupaient avant tout de chercher dans la réforme de la loi un remède à la situation de leur industrie ou de leur commerce. L’intérêt personnel alimentait les souscriptions qui, dès le premier jour, formèrent un fonds de 120,000 francs et qui pourvurent ensuite, jusqu’à l’heure de la victoire, à tous les frais de la lutte. Mais, dans la pensée de ses principaux organisateurs, la ligue visait plus haut et plus loin. Les philanthropes voulaient protester contre une législation qui taxait le pain du pauvre ; les économistes combattaient les droits sur le blé qui renchérissaient la main-d’œuvre ; les financiers dénonçaient l’inégale répartition des impôts sous un régime qui, pour protéger la terre outre mesure, frappait indûment la consommation et le travail ; les politiques enfin jugeaient le moment favorable pour attaquer de front les privilèges séculaires de l’aristocratie, la domination des lords, maîtres du sol, les abus invétérés de la constitution sociale de l’Angleterre, et c’était par le rempart des lois céréales qu’ils donnaient l’assaut. Tout ces élémens se rencontraient dans le conseil de la ligue : philanthropes, économistes, financiers et politiques conspiraient vers le même but avec une ardeur pareille, et leur intervention donnait à la ligue un caractère à la fois respectable et redoutable qui n’eût pas été reconnu à une simple coalition de manufacturiers.

Cobden représentait les sentimens et les passions, plus encore que les intérêts, au service desquels la ligue se préparait à combattre. Par suite de nouveaux arrangemens d’affaires et de famille,