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invitations du même genre. Eh bien ! je compte, si Dieu le permet, employer mon année à parcourir tous les grands pays de l’Europe, à voir leurs souverains et leurs hommes d’état, et à démontrer partout les vérités dont le triomphe a été chez nous irrésistible. Dois-je me rouiller à ne rien faire ? Puisque la libéralité de mes concitoyens me donne les moyens de voyager comme leur missionnaire, je serai le premier ambassadeur du peuple anglais auprès des nations du continent. Je m’y sens poussé par une sorte d’instinct qui ne m’a jamais trompé. J’ai la confiance que je pourrais amener les gouvernemens prohibitifs de l’Europe à l’adoption d’un régime plus libre, de même que j’ai contribué à démolir notre régime de protection. Mais il est essentiel de tenir cela secret, pour ne pas me rendre suspect au dehors. Sauf un ou deux amis, je n’en parlerai à âme qui vive.


Le voilà donc parti, en missionnaire et en apôtre, pour porter à travers l’Europe la bonne nouvelle, c’est-à-dire le free-trade. Nous pouvons suivre, par les extraits de ses notes écrites au jour le jour, les courses et les impressions du voyageur. — Sa première visite fut pour le château d’Eu. Le roi Louis-Philippe lui fit un accueil très bienveillant, lui parla de toutes choses, de l’Angleterre, de la paix, de la ligue, etc., mais, lorsque Cobden voulut entamer son cours de libre échange appliqué à la France, il observa que le roi faisait la sourde oreille ou ne lui répondait que par des généralités. Même déception, à la suite d’un entretien avec le premier ministre, M. Guizot, qui lui parut tout à fait arriéré en matière économique. Décidément, les régions officielles ne lui étaient point favorables. En revanche, il fut accueilli à bras ouverts non-seulement par les économistes, mais encore par les députés et les journalistes de l’opposition, et son séjour à Paris se passa en réceptions et en fêtes dédiées au triomphe de la ligue. La Société des économistes, qui venait d’ouvrir la campagne pour le libre échange, lui offrit un banquet, où Cobden, entouré de Bastiat, de Michel Chevalier, de Joseph Garnier, d’Horace Say, etc., prononça l’un de ses meilleurs discours, en portant un toast « à l’union de tous les peuples. » Quant aux députés de l’opposition, dont la plupart n’avaient, et ne voulaient avoir, sur les questions douanières, d’autre opinion que celle de leurs électeurs, ils voyaient surtout en Cobden l’agitateur qui s’était acquis une popularité si digne d’être enviée. Eux aussi, ils s’occupaient alors d’une réforme, — de la réforme électorale ; battus jusqu’alors par les votes de la majorité ministérielle, ils songeaient à organiser des réunions et des banquets, à faire de l’agitation, ils demandaient à Cobden comment il s’y était pris, par quels procédés la fameuse ligue avait eu raison de la résistance des cabinets et du parlement. À ces révolutionnaires qui s’appelaient Odilon Barrot, de