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590 voix contre son concurrent, un inconnu, qui en eut 823. M. Bright, à Manchester, échoua également. Ce fut une déroute pour le parti de la paix et surtout pour l’école de Manchester, qui, par cette déchéance si rapide, expiait sévèrement l’éclat de ses premières leçons. Cobden et Bright, les deux noms les plus populaires de l’Angleterre, étaient du même coup exclus du parlement. — L’exil de M. Bright ne fut pas de longue durée. Une vacance s’étant produite dans la représentation de Birmingham, il fut élu au mois de juillet. Quant à Cobden, il resta pendant plus de deux ans frappé de l’ostracisme parlementaire.

Il faut plaindre en tous pays le sort d’un député non réélu. Avoir été député et ne l’être plus, c’est une pénitence, souvent bien méritée, mais toujours fort dure pour celui qui la subit. Et pour Cobden, qui, plus qu’aucun autre, avait vécu de la vie et des émotions du parlement, l’inaction, la mort politique plus encore que la disgrâce devait être particulièrement sensible. Vainement lisons-nous dans sa correspondance qu’il respire à pleins poumons l’air rustique de Dunford, qu’il plaint les malheureux condamnés à siéger jusqu’à trois heures du matin dans les salles de Westminster et qu’il se réjouit d’être en vacances. On voit à travers les lignes qu’il suit avec un intérêt passionné les débats où il n’est plus et où il est permis de dire qu’il brille par son absence, car ces débats ont pour objet l’insurrection de l’Inde, c’est-à-dire une guerre atroce, le gouvernement du plus important domaine de l’empire britannique, le sort de deux cents millions de créatures humaines ! Pour Cobden, qui a étudié à fond la question de l’Inde comme la question de l’Irlande, parce qu’il voit là des races dominées ou opprimées, — pour ce doctrinaire de la paix, dont la parole n’a pour ainsi dire manqué aucune guerre pour la conjurer ou la maudire, quelle déception, ou plutôt quel remords de ne pouvoir prendre part à ces grandes discussions ! — Cette période lui fut d’ailleurs doublement pénible. Aux regrets causés par son exil politique vinrent se joindre les embarras de ses affaires privées. Encore une fois, ses amis durent venir à son aide. Il avait placé sa fortune dans les chemins de fer de l’Illinois ; d’après ce qu’il avait vu lors de son voyage aux États-Unis, il était convaincu qu’il faisait là une excellente spéculation, grâce au trafic des lignes, à la vente des terrains et à tout le reste. Il s’y engagea au-delà de ses ressources et se ruina complètement. Cobden fut du nombre de ces esprits supérieurs qui voient très clair dans les affaires publiques et ne savent pas gérer leur bien. En 1859, il fit un voyage en Amérique à la découverte de ces fameux terrains de l’Illinois. En revenant à Liverpool, au mois de juin, il trouva