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préféré la réforme, et c’est à la réforme soit politique, soit sociale, qu’il a consacré toute sa vie. Comme réformateur, il a obtenu deux succès éclatans ; il a fait abolir les corn-laws et il a, par le traité de 1860, commencé à réaliser, sous une forme pratique, les principes de la liberté des échanges. On a vu de quelle vigueur et de quelle habileté ce double triomphe a été le prix. Il a fallu que Cobden fût doué de facultés supérieures et déployât une puissance, vraiment extraordinaire pour remuer à ce point les idées, les intérêts et les hommes.

Cobden a tenté d’autres réformes. Il a échoué, ou le temps lui a manqué. Il a voulu remplacer la guerre par l’arbitrage et organiser la paix universelle. De son vivant et depuis sa mort, il y a eu guerres sur guerres en Europe, en Amérique, en Asie, même en Afrique. — Il a demandé que l’Angleterre pratiquât, dans sa politique extérieure, le principe de non-intervention, qu’elle renonçât aux conquêtes et aux annexions de territoires, et qu’elle tînt à honneur de préparer l’affranchissement de ses anciennes colonies. Depuis vingt ans, l’Angleterre est intervenue dans toutes les affaires du monde, elle a conquis, elle a annexé, elle a étendu son empire colonial. — Cobden a réclamé la réforme électorale et parlementaire en vue de restreindre la prédominance de l’aristocratie, d’introduire le peuple dans le gouvernement et de diminuer les dépenses publiques ainsi que les impôts. Le droit de suffrage est encore refusé au grand nombre ; les influences aristocratiques ont conservé leur pouvoir prépondérant ; les budgets sont plus lourds que jamais et les impôts augmentent. — Cobden a projeté la révision des lois foncières en vue de créer, par la division du sol, une classe nombreuse de propriétaires et de favoriser les progrès de la culture. Les vieilles lois marquées du signe féodal sont toujours en vigueur, la propriété du sol demeure héréditairement détenue par un groupe de privilégiés ; la possession de la terre, la jouissance des profits et de la liberté qu’elle donne, est presque un monopole. — Donc autant de réformes tentées, autant d’échecs. Il semble que Cobden ait poursuivi des chimères et que l’apôtre de la paix, le réformateur universel, vaincu par les événemens. désavoué par les résultats, n’ait droit qu’à une place dans la galerie des naïfs illustres et des idéologues. Si l’on songe aux difficultés extrêmes que devait rencontrer Cobden opérant sur le sol anglais, on n’aura plus surprise ni dédain pour ces échecs, qui ne sont que des ajournemens. Le rappel des corn-laws a fait la trouée par où passeront les autres réformes. C’est une question de temps. L’école de Manchester compte aujourd’hui de nombreux élèves ; ses doctrines, malgré les démentis infligés par les accidens de la politique, circulent et pénètrent partout, elles se rencontrent dans les écrits des publicistes, dans les leçons des