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à l’exemple des Grecs anciens, s’était enfoncé dès le début dans la mythologie, en se bornant à remplacer leur demi-foi traditionnelle par un scepticisme commode, qui reconnaissait bien la réalité de certains faits sous l’enveloppe des légendes, mais renonçait à les dépouiller de ces voiles ou à en reconstituer la suite. Varron distinguait dans l’histoire trois âges : l’âge inconnu, l’âge mythique et l’âge historique. M. Grote réunit les deux premiers en un seul, qu’il sépare du troisième par un abîme. Tout le passé mythique, c’est l’inconnu ; il n’existe pas pour l’histoire. Cette période indéfinie à laquelle il appartient doit donc être retranchée de l’œuvre de l’historien, et celle-ci ne commence qu’au viiie siècle avec l’ère des olympiades. Ici seulement, sur le seuil de la réalité, il y a lieu de s’occuper de la géographie physique, des influences de climat, des rapports avec les autres pays et les autres peuples. M. Curtius procède tout autrement. Bien loin de renoncer à scruter ces questions de commencement et d’origine, il y cherche la base naturelle de son ouvrage, le principe et les racines profondes du développement hellénique. Se débarrassant des légendes, il s’attache aux élémens qui sont manifestement réels. Puis, par le mouvement propre de sa pensée et de son imagination, il refait cette histoire perdue et conçoit un système.

Tel est donc le double caractère de cet esprit si distingué : d’un côté, un besoin tout moderne d’analyse scientifique et une force de déduction qui, s’appuyant sur la réalité matérielle, dégage l’inconnu de la confusion et de l’obscurité ; de l’autre, un besoin plus impérieux encore de saisir la vie et de la reconstituer hardiment, par hypothèse, dans son active et dramatique unité. Les élémens réels qu’examine et interroge d’abord M. Curtius sont la géographie physique et la langue ; la géographie surtout. C’est elle qui lui révèle les origines de la population primitive et l’initie au mystère de la civilisation naissante.

On avait remarqué depuis longtemps la configuration particulière des côtes de la Grèce. Les rivages de ce petit pays sont tellement découpés par des golfes, des anses et des sinuosités, qu’ils atteignent un très vaste développement et semblent l’avoir prédestiné à la vie maritime. On avait aussi remarqué comment les îles de l’Archipel l’unissent à l’Asie-Mineure ; ce sont comme des ponts naturels qui ont dû faciliter les communications entre les deux contrées. M. Curtius s’attache à ces observations et les complète. Il remarque à son tour deux choses. C’est d’abord que, dans la Grèce, ce sont les côtes orientales qui sont le plus découpées ou le mieux faites pour la navigation, et qu’en même temps elles sont favorisées par le climat le plus doux et le plus sain, surtout depuis le sud de la Thessalie. C’est ensuite qu’en Asie-Mineure, la partie des rivages