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UN HISTORIEN MODERNE DE LA GRÈCE.

apprécier la ressemblance de leur politique, il compare leurs aptitudes et leurs caractères.

Ils ont, en effet, plus d’un trait commun. D’abord, la cause première de leur ascendant sur leurs concitoyens, c’est chez tous deux la supériorité intellectuelle et morale. Pleins d’enthousiasme pour les grands devoirs patriotiques, la netteté de leur esprit leur donne en même temps un admirable bon sens. De là les qualités de leur éloquence, pleine, pénétrante, sûre d’elle-même. Les deux orateurs ne parlent que parce que leur dessein est fermement arrêté, parce qu’ils sont en complète possession du sujet, de leurs idées et de leur langage ; tant ils ont le respect du public et d’eux-mêmes ! Au fond, bien qu’ils s’appuient sur la foule contre les riches, ce sont des natures aristocratiques. La foule en a le sentiment ; elle les aime peu ; et, de leur côté, ils dédaignent la popularité, même lorsque, étant passés de l’opposition au pouvoir, il semble que ce soutien leur serait indispensable pour appuyer une autorité précaire. Pendant cette sorte de principat de quinze ans, où Périclès dirige les affaires, et pendant la période de huit années entre la paix de Philocrate et la bataille de Chéronée, où l’influence de Démosthène est prépondérante, tous deux suivent à peu près la même politique étrangère ; visant à faire d’Athènes le chef-lieu de la Grèce, ils acceptent résolument la nécessité d’une guerre sagement préparée pendant la paix et ne s’arrêtent pas, pour la faire, devant de vains scrupules de droit international qui ne seraient que préjudiciables aux intérêts athéniens.

Il faut lire dans M. Curtius le détail précis et ingénieux de ce parallèle. Bien que peut-être on n’y trouve pas toujours au degré qu’on serait en droit d’attendre la netteté supérieure et les brillantes qualités de l’éminent historien, c’est l’œuvre généreuse et le plus souvent juste d’un esprit élevé. Quelques traits seulement prêtent au doute ou à la contradiction. Ainsi M. Curtius, à propos de Périclès, indéfiniment continué dans les fonctions de stratège, admire comme le plus beau résultat et le privilège de la démocratie la faculté d’appeler à tout moment au gouvernail le citoyen le plus capable, et il cite les mots de Thucydide : « gouvernement du premier citoyen. » Assurément Thucydide n’aurait pas souscrit à ce commentaire. Sa phrase signifie très clairement que, pendant ce gouvernement du premier citoyen, la démocratie n’existait que de nom. Rien n’était plus imprévu ni plus contraire à l’esprit de la constitution que cette perpétuité dans des fonctions annuelles, et l’on avouera qu’il est assez singulier de faire honneur à la démocratie athénienne d’une exception qui avait pour effet de la supprimer. En réalité, Périclès, par son habileté et par l’ascendant d’une nature supérieure, réussit