Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 58.djvu/367

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
361
UN HISTORIEN MODERNE DE LA GRÈCE.

pour n’y plus reparaître qu’un instant et très amoindrie. À ce moment, c’est la fin de l’hellénisme, tel que l’entend l’auteur, c’est-à-dire d’une action très particulière que ce petit peuple des Grecs a seul exercée dans le monde, par l’expansion originale de certaines forces intellectuelles et morales, dans des conditions déterminées par la nature du pays. Ce qu’il y a de plus hellénique en Grèce, c’est Athènes, la reine de la mer Égée, qui concentre en elle comme la substance de l’ionisme, et l’hellénisme cesse quand cesse le rôle actif d’Athènes.

Tel est, si je ne m’abuse, le sens de cette conclusion. Il rattache la fin au commencement dans un ouvrage qui se tient, malgré le nombre et la diversité des élémens, où les lignes principales sont nettement marquées, et qui est pour une bonne partie, par une sorte de réaction contre la pensée dominante des Doriens d’Ottfried Müller, un monument élevé à l’esprit démocratique des Ioniens. Tous les lecteurs français ne constateront pas sans quelque surprise ce genre de sympathie et cette franchise de libéralisme chez un maître du prince royal de Prusse, dont le mérite supérieur est hautement reconnu par la faveur de son souverain. Il n’en est pas moins le plus athénien de tous les historiens de la Grèce.

On n’a pas prétendu ici apprécier toute son histoire ; il faudrait des connaissances toutes spéciales pour le suivre dans les nombreuses questions qu’il traite avec une rare compétence. On a voulu surtout essayer de faire comprendre l’originalité de l’œuvre et de l’esprit qui en a conçu et agencé l’ensemble et le détail avec une ingénieuse hardiesse. Ce n’est pas un mauvais exemple à nous mettre sous les yeux dans l’état actuel de nos études historiques. La meilleure manière de l’imiter serait de faire autrement. L’originalité en histoire a pour effet naturel de provoquer la contradiction. Il est donc possible de ne pas penser comme M. Curtius. Il est possible aussi, surtout grâce au nombre croissant des découvertes épigraphiques, d’être plus complet sur certains points, comme le prouvent les mémoires sortis de notre École française d’Athènes, et il est possible, en même temps, de s’élever comme lui à des conceptions générales. C’est même un effort d’une facilité relative dans l’histoire grecque, où les questions, si nombreuses et si multiples qu’elles soient, semblent s’agrandir et se généraliser d’elles-mêmes. C’est ce qui permet d’espérer encore que, nous aussi, nous aurons quelque jour un bon historien de la Grèce.


Jules Girard.