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sont en état de recevoir quelque instruction sont séparés en deux divisions : les petits et les grands ; on leur enseigne la sténographie, qu’ils traduisent en écriture vulgaire, ce qui, dit-on, les oblige à une réflexion plus attentive ; on leur donne des notions de grammaire, de géographie, de calcul et d’histoire, notions élémentaires appropriées à des cerveaux qu’une matière incomplète a parfois déprimés. Quelques-uns de ces enfans ont, néanmoins, une intelligence ouverte et apte à profiter de l’étude ; j’ai aperçu là des bossus ricaneurs et madrés qui ne font point mentir le vieux dicton et qui semblent prêts à toutes les saillies de l’esprit ; on le devine à leur physionomie, à l’expression de leurs regards, à leurs gestes ironiques, car, en présence des frères, ils se taisent et ne s’épanchent qu’avec leurs camarades. L’aspect des classes est lamentable ; lorsqu’on entre, tous les pensionnaires se lèvent ; pas un n’a la taille normale, tous sont de travers, appuyés sur des béquilles, la tête rejetée de côté par un cou difforme, soulevés de gibbosité, cagneux, bancroches, avec des fronts trop aplatis, des mains trop longues, des moignons au lieu de pieds, des jambes arquées, des nez démolis, des oreilles saillantes comme des ailes. Gallot eût trouvé là des modèles pour ses assemblées de gnomes, hurlant derrière un ermite agenouillé. C’est pénible à regarder, plus pénible à concevoir. Ces pauvres enfans sont vêtus un peu à la diable, de toutes pièces ; on leur a taillé une veste dans une vieille redingote, on leur a fait endosser l’ancienne tunique d’un collégien délivré de l’université, on leur a mis aux épaules le sarrau abandonné avec des défroques épuisées ; les manches sont trop longues, les pantalons sont trop courts, les souliers sont trop larges : enfans de troupe de l’armée misérable et maladive, trop heureux encore d’être couverts avec décence et d’être garantis contre le froid. C’est là le costume de la semaine, le costume ouvrier, que l’on peut, sans trop de précaution, déchirer en jouant et salir sur le sable du jardin ; le dimanche et les jours fériés, le costume est uniforme et bien compris pour des enfans : un pantalon et une blouse de drap léger par-dessus un tricot de laine.

La discipline est d’une extrême mansuétude ; les enfans s’y soumettent sans difficulté ; il est rare que l’on ait à punir, car si dans le frère de Jean-de-Dieu le pédagogue doit parfois être sévère, l’infirmier est toujours indulgent. Dans cet asile comme dans tous les établissemens scolaires, le même phénomène se produit. Le petit écolier et le grand écolier ne regimbent point contre la direction qu’on leur impose ; avant douze ans, après seize ans, il faut être maladroit pour ne pas maintenir les enfans dans une conduite raisonnable. Entre ces deux âges, cela est plus malaisé. L’écolier n’est