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souterrains de Rome n’apprennent à personne que, dans les quatre premiers siècles, il se forma loin des yeux du grand public une école fermée de décorateurs, de peintres et de sculpteurs qui, rompant avec les procédés d’expression en usage, comme les fidèles avaient rompu avec la religion et le culte établis, fondèrent une tradition nouvelle. M. Roller l’écrit fort bien : « Le christianisme a pénétré de son esprit l’expression de la pensée humaine traduite par le pinceau et par le ciseau ; mais nous ne voyons pas qu’une impulsion nouvelle ait été imprimée à l’art par l’introduction d’une nouvelle manière de concevoir et de sentir. On ne devine pas qu’une vie artistique soit née de ce rajeunissement de la vie religieuse, du moins pour ce qui regarde l’Occident… A l’époque où furent creusés les cimetières souterrains, l’art latin régnait seul ou presque seul en Occident. Qu’ont fait, les sculpteurs ou les peintres convertis ? Ils ont exprimé des idées nouvelles en se servant du vieil instrument. Prenez une œuvre païenne et une œuvre chrétienne de la même époque, abstraction faite du sujet, vous leur trouverez un air de famille ; même coup de main, même goût, même style, on peut presque dire même école. On n’a pas l’idée ou le temps de créer une forme inconnue. L’esprit nouveau se contente des vieux vaisseaux… Le style latin avait eu son plein épanouissement en dehors de la religion nouvelle. Il était fils du paganisme et du génie classique grec. Nous sommes contraint de dire qu’il n’emprunta pas grand’chose au christianisme. La preuve en est qu’il n’en fut pas retardé dans sa décadence. »

Ceci me paraît absolument vrai, bien que tous peut-être n’en conviennent point. Entre l’art chrétien des catacombes, tel qu’il apparaît dans les morceaux qu’on fait remonter à la fin du Ier siècle, et l’art païen des peintures et des fresques décoratives de Pompéi, qui sont à peu près de la même époque, la différence est fort petite. Les sujets seuls varient, et pas même encore les sujets purement décoratifs. Dans les peintures païennes comme dans les fresques des catacombes, ne voit-on pas représentées des scènes de vendange et de moisson, des pampres entrelacés avec des oiseaux qui y volent, de petits enfans ailés cueillant ou pressant des grappes de raisin, le pasteur portant une brebis ou une chèvre sur ses épaules, Orphée avec sa lyre entre les bêtes adoucies par l’harmonie de ses chants, Ulysse attaché au mât de son navire pour résister aux séductions des sirènes ? Que ces enfans ailés s’appellent des génies, des amours ou des anges, qu’importe ? Est-il absolument sûr que l’artiste qui a décoré à la pompéienne le portique de l’hypogée de Domitilla fût chrétien, en effet, et qu’en peignant ces gracieux entrelacemens de vigne, il ait songé à traduire aux yeux quelque