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III

Incontestablement tous les sujets traités par les artistes dans les cimetières souterrains sont chrétiens, soit de fait, soit par adoption. Mais quel est le sens de ces sujets ? Ici la symbolique contemporaine se donne libre carrière. La lettre tue, dit l’Écriture, mais l’esprit vivifie. C’est la devise des symbolistes. Ils s’ingénient et se complaisent à découvrir dans toutes les fresques et sculptures des catacombes comme un esprit caché, des mystères de théologie, quantité de choses qu’il ne me paraît pas que leurs auteurs y aient voulu mettre. Soumis à la torture, ces monumens disent tout ce qu’on veut leur faire dire. C’est, on le sait, la pente des commentateurs de pécher par excès de finesse, et de trouver dans les plus simples mots des œuvres qu’ils analysent, des intentions secrètes et des profondeurs que nul n’y aperçoit. Quand on lit ces interprétations subtiles et tourmentées, où rien n’est pris uniment et à la lettre, où tant d’arrière-pensées et de sous-entendus sont imaginés, involontairement on se rappelle Socrate disant de Platon : « Que de choses ce jeune homme me fait dire auxquelles je n’ai jamais pensé ! » Pour les symbolistes, toute peinture ou sculpture des catacombes est emblème, allégorie, figure de l’invisible. Il n’y faut pas voir ce qu’on voit, mais un certain dessous qu’on ne voit pas, à moins d’être initié, et sur lequel ils raffinent sans être toujours d’accord. Chaque sujet peint ou sculpté devient de la sorte un hiéroglyphe ou un logogriphe qu’il s’agit de déchiffrer. Noé dans l’arche qui flotte sur les eaux avec l’oiseau qui arrive à tire-d’aile portant le rameau vert[1], c’est l’église debout et ferme au milieu des orages. C’est aussi le baptême régénérateur. La colombe, les ailes ouvertes, apportant la branche d’olivier, c’est la paix annoncée par l’esprit de Dieu à qui a passé par ce bain salutaire. Dans la fresque, l’arche est petite. Vous direz peut-être que c’est à cause de la surface restreinte dont disposait le peintre, et qu’il n’avait pas de place pour la faire plus grande ? Explication triviale ! C’est, nous dit-on, que précisément, — le compositeur tenait moins à exprimer le fait historique qu’à le transformer en symbole. Cette arche, — arca, urne, — c’est le tombeau où le fidèle est enfermé. L’eau qui l’inonde d’en haut, — il n’y en a pas trace dans la composition, — et où elle flotte en bas, c’est le baptême qui, au lieu de faire mourir, lave et sauve. L’oiseau qui vole avec sa branche au bec, c’est la paix bienheureuse envoyée par le Seigneur, et les divines félicités promises à l’âme

  1. Planche XXXV, page 240.