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gal, dans une question de chemin de fer, qu’il en est ainsi, qu’on vient demander un jour au parlement la sanction tardive d’une entreprise qu’il n’a pas autorisée ; c’est à propos de tout et un peu partout.

Le gouvernement a sans doute ses responsabilités, son droit d’initiative et de direction. Il peut se croire obligé parfois à se taire, ou à ne parler qu’à demi, ou à mesurer ses communications aux intérêts publics, à des convenances dont il est le premier juge. Rien de plus simple, il est dans son rôle. C’est cependant, on en conviendra, un fait singulier que le parlement puisse apprendre par une interruption, au courant d’une discussion, que la France est à l’état de guerre déclarée sur un point du monde. C’est justement ce qui est arrivé encore ces jours derniers, dans un nouveau débat sur les affaires du Tonkin et on l’eût moins remarqué peut-être si ce qui se passe aujourd’hui sur les bords du fleuve Rouge n’était à peu près la reproduction de ce qui s’est passé, il y a deux ans, à Tunis. À cette époque aussi, le ministère, dont M. Jules Ferry était déjà le chef, procédait par demi-aveux, par demi-mesures, par toute sorte de subterfuges financiers et militaires qui, en laissant les chambres dans l’incertitude, ne faisaient que lui créer à lui-même des difficultés intérieures ou extérieures et compromettre un instant la campagne. C’est encore aujourd’hui le même système au Tonkin. On a commencé par abandonner à ses propres inspirations, à ses propres forces le malheureux Rivière, qu’on finit par accuser d’impatience et de témérité. On a laissé tout s’aggraver, se compliquer, et, maintenant, il faut bien l’avouer, c’est la guerre ! C’est la guerre avec l’Annam, dont les Pavillons-Noirs, ces Kroumirs du Tonkin, sont les soldats ; c’est la guerre peut-être avec la Chine, qui semble refuser plus que jamais de renoncer à sa suzeraineté sur l’Annam. — S’il faut décidément agir, soit ; mais qu’on le dise, qu’on associe le parlement à la responsabilité de la guerre devant le pays, qu’on prenne des mesures dignes de la France. La pire des politiques est de s’agiter stérilement dans toutes ces obscures affaires, de respecter si peu les droits du parlement et d’être soi-même un gouvernement qui, en paraissant vouloir tout faire, ne sait jamais mettre au service de ses entreprises que des idées vagues et une action décousue.

Notre siècle, qui s’est si souvent, si complaisamment flatté d’être le règne de la tolérance, de la raison libre, serait-il destiné à finir par de nouvelles luttes de religion, par des recrudescences de fanatisme et de persécution ? La vérité est que, dans notre vieille Europe, remuée par toutes les révolutions, d’étranges signes se manifestent parfois. Des haines aveugles, des ardeurs d’intolérance qu’on croyait éteintes se ravivent tout à coup, et si, en France, au nom d’une prétendue libre pensée, on fait la guerre aux catholiques, à leurs croyances, à leurs emblèmes, dans d’autres régions, dans beaucoup de pays aujour-