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de la France, cela ne faisait aucun doute. Ce n’est pas sur ce principe de la solvabilité française qu’on pouvait se diviser; l’embarras commençait au choix des moyens d’exécution et des combinaisons, à la création des ressources destinées à élever les recettes publiques au niveau des dépenses nouvelles, et naturellement, dans l’étude de toutes ces questions, chacun portait sa passion, son tempérament, ses préoccupations ou ses fantaisies. L’assemblée, sans hésiter sur le fond, sans reculer devant les sacrifices et l’impopularité des aggravations de taxes, risquait souvent de se perdre en discussions infinies, de se laisser capter par les expédiens spécieux et les projets chimériques. M. Thiers, en chef expérimenté, se défiait de l’esprit de système, des théories décevantes et des aventures. Depuis la première heure, il avait toujours devant les yeux ce redoutable problème financier, qui représentait pour lui la libération de la France, qu’il s’efforçait sans cesse de ramener à des termes pratiques. Il s’en occupait passionnément, mettant tout son savoir et son ardeur à éclaircir une situation si compliquée, à préparer ses vastes opérations de crédit, à explorer toutes les sources de revenus où l’on pourrait puiser sans trop excéder le pays. Il y avait des points sur lesquels l’accord était aisé, il y en avait d’autres sur lesquels l’entente devenait difficile, laborieuse, et il y en avait enfin sur lesquels le dissentiment allait jusqu’au conflit déclaré, jusqu’à la scission violente. C’est ce qui arrivait précisément au sujet de cet impôt sur les matières premières que M. Thiers gardait en réserve depuis son avènement, qu’il tenait à inscrire dans ses combinaisons financières.

Serrons de plus près la question. En même temps qu’on préparait les éclatans emprunts qui allaient attester la résurrection définitive du crédit de la France, on s’était mis, d’un autre côté, énergiquement à l’œuvre. On avait commencé par ce qu’il y avait de plus facile dans la création des nouveaux impôts, par une série de surtaxes atteignant le timbre, l’enregistrement, le café, le sucre, les boissons, etc. Malheureusement, avec tout cela, on n’avait pu arriver qu’à une somme de 350 à 400 millions, et, pour achever de donner au crédit renaissant le vigoureux appui d’un budget suffisamment équilibré, il fallait trouver encore de 250 à 300 millions, peut-être plus. Comment faire? M. Thiers avait à se débattre dans un tourbillon de projets, il avait à répondre et à ceux qui lui parlaient toujours d’économies sans se demander si ces économies étaient possibles, et à ceux qui avaient à leur disposition toute sorte de combinaisons dont il sentait l’inanité ou les inconvéniens. Il avait quelquefois de la peine à se contenir.

Quand, par exemple, on lui proposait comme ressource suprême l’impôt sur le revenu, qui était le rêve des républicains et que des