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uns sur les autres. La paix publique est mon unique souci. Je n’appartiens à aucun de ces partis. J’ai mes convictions personnelles; mais, à la tête du pouvoir, je dois en faire abstraction. Je dois songer que nous sommes au lendemain d’une grande victoire, remportée sur le désordre... Eh bien ! au lendemain de cette victoire, la modération me semble devoir être la vraie, l’unique politique d’un gouvernement sensé, raisonnable et, permettez-moi d’ajouter, courageux. Ce qu’il y a de plus courageux dans un pays agité de passions diverses comme le nôtre, c’est de se mettre au-dessus de toutes les passions et de résister tantôt aux unes, tantôt aux autres. Je sais très bien que par cette conduite on est exposé souvent à ces mêmes passions qu’on voudrait concilier et calmer. Je n’en suis pas à mon début en ce genre ; il y a quarante ans que je brave les passions de tous les partis... » Il disait aussi un autre jour où on voulait lui arracher des indemnités que sa raison désavouait : « Je représente ici l’intérêt de l’état et je dois représenter sa dignité. Je ne m’adresse à aucune passion; je ne m’adresse qu’à un sentiment, celui de l’intérêt public. Tout profond qu’il soit, celui-là ne crie pas, c’est l’intérêt individuel qui crie. Je représente cet intérêt silencieux, et mon sentiment à son égard a, j’en suis convaincu, beaucoup d’écho en France. C’est ce qui me donne la confiance de résister à des réclamations très vives, bruyantes, exigeantes même. C’est mon devoir que je poursuis. » Et lorsqu’on lui reprochait d’intervenir sans cesse, d’imposer ses idées, de gêner par ses vivacités impérieuses le droit et la liberté de l’assemblée, il répliquait avec une généreuse véhémence : « Comment! c’est devant vous, devant ce pouvoir qui, tous les jours, a la tête sous la vague, qui a la plus grande peine à lever la tête au-dessus de cette tempête, devant ce pouvoir que vous avez créé, que vous pouvez renverser en dix minutes, qui le résistera pas, soyez-en sûr, qui vous en saura gré ; comment ! c’est devant vous et devant ce pouvoir qu’on vient parler de liberté comme si l’on en doutait! Non! ce n’est pas de la liberté qu’il faudrait douter, c’est du pouvoir. Ce dont il faudrait douter aussi, je le reconnais, c’est de cette unité d’esprit qui consiste à se rallier à une idée juste, à prendre son parti des inconvéniens qu’elle peut présenter, à voter d’une manière conséquente, raisonnée : l’unité d’esprit sans laquelle nous ne serions qu’une nation de disputeurs, qui, au lieu de remplir une grande tâche, ne feraient que discuter stérilement, n’aboutissant à rien. Je ne veux pas diminuer votre liberté, nais qu’est-ce que je fais? Je cherche, moi aussi, à user de la mienne comme vous usez de la vôtre. J’use de la mienne en m’épuisant J’en use, je vous en donne ma parole, uniquement dans la vue du bien, dans des vues patriotiques. » Et si enfin on le poussait à boit, il était capable de dire avec une impatience mêlée de hauteur : « Voulez-vous