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l’irritaient, qui aggravaient sa tâche : « Nous n’avons pas autorisé les banquets, disait-il... A Grenoble, le cas était plus difficile. Je n’ai pas pu fermer la porte du propriétaire; mais en prétendant servir la république, certains hommes travaillent à la perdre. Le discours de Grenoble a plus fait rétrograder la république qu’elle ne pouvait rétrograder par la main de tous ses ennemis... Je n’admets pas ces distinctions de classes... Distinguer dans la nation, c’est provoquer la guerre de classe à classe. Celui qui distingue entre les classes pour ne s’attacher qu’à une seule, devient factieux et dangereux : si la tribune avait été ouverte, j’aurais combattu ce discours de toute mon énergie. Je souffre plus que vous de ce qui s’est passé à Grenoble parce que cela entrave la libération... »

On en était là après dix-huit mois de luttes confuses dans lesquelles M. Thiers avait à se débattre, tantôt avec les monarchistes qui l’aiguillonnaient, tantôt avec les républicains qui le compromettaient. Il fallait cependant sortir de cette situation étrange, où tout semblait conduire à la nécessité de se décider, de trancher la question de gouvernement, et où la difficulté, sinon l’Impossibilité d’une solution, naissait de toutes les divisions. Il fallait en finir avec des luttes, des équivoques, des confusions qui ne faisaient que s’aggraver, et c’est à travers les contre-coups d’incidens toujours renaissans que se préparait la crise décisive où la politique de M. Thiers allait être emportée, prise pour ainsi dire entre deux feux, victime des républicains autant que des monarchistes.


IV.

On était à l’automne de 1872. Quel chemin parcouru depuis le 19 février 1871, jour où l’assemblée nationale, à peine réunie au milieu des plus effroyables malheurs publics, s’était hâtée de refaire un gouvernement conforme aux circonstances, le gouvernement de la paix et de la réparation !

De l’œuvre de patriotisme imposée dès la première heure par les événemens, une partie, celle qui était toujours sûre de rallier toutes les bonnes volontés, se trouvait presque accomplie. La France n’était pas encore libre ; elle allait être bientôt délivrée de la présence de l’étranger. Des négociations étaient même sur le point de s’engager pour devancer les termes déjà fixés, pour hâter la fin de l’occupation allemande, et à mesure que se dessinait dans ses progrès, dans sa certitude ce généreux travail de récupération nationale, les partis s’animant par degrés, redoublant d’impatience, se demandaient ce qui arriverait au lendemain de la libération. Tout le monde avait