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pour remplir en un mot le rôle que M. Thiers remplissait depuis deux ans le jour et la nuit avec un infatigable dévoûment, avec un incomparable éclat. Imaginer qu’on pouvait frapper d’un certain ostracisme le plus bouillant des hommes, le premier des parlementaires de France et le soumettre à des règlemens minutieux, à des rôles bizarres, à tout un cérémonial fixant ses droits d’intervention, le mode de ses comparutions devant l’assemblée, ses entrées et ses sorties, c’était une puérilité aussi peu digne du parlement que de celui qu’on voulait ainsi traiter. M. Thiers n’était pas homme à se laisser mettre hors du parlement. Il pouvait, pour un bien de paix, se prêter à quelques-unes de ces exigences qu’il appelait des « chinoiseries, » qui offensaient son bon sens même quand elles se déguisaient sous un hommage ; il n’admettait que celles qui respectaient son droit d’intervention dans la discussion des grandes affaires extérieures ou intérieures du pays, et, mis en présence de la commission des « trente, » il lui disait librement, familièrement : « Laissez-moi vous parler à cœur ouvert! Je ne veux pas d’une rupture avec vous ; mais votre proposition m’humilie. Elle est dirigée contre moi, je ne puis l’accepter. Dieu m’a fait l’âme fière ! Je peux, par amour de la concorde, me soumettre à certaines exigences ; mais si vous me demandez de laisser discuter les grandes questions en dehors de moi, non, je ne le puis pas. Cherchez une autre rédaction, je suis prêt à l’accepter; quant au principe même, je ne puis pas y renoncer, et j’irai, s’il le faut, le soutenir devant la chambre. Je ne saurais admettre qu’on pourra me priver du droit d’être entendu lorsqu’il s’agira de défendre la politique générale. Qu’en résulterait-il? C’est qu’après deux ans on viendrait amoindrir mon pouvoir. Je ne le laisserai pas réduire. » Il refusait de se laisser ravir la plus puissante de ses armes : la parole. Il avait raison, et à ceux qui se prévalaient encore contre lui des grandes traditions parlementaires, il pouvait rappeler qu’à toutes les heures, depuis qu’il était le chef de l’état, il avait toujours été prêt à rendre le pouvoir devant un mot net et clair de l’assemblée.

Au fond, ce qu’on reprochait surtout à M. Thiers, c’était de ne pas se servir de son ascendant personnel comme on l’aurait voulu, de n’être pas assez avec les conservateurs, de favoriser les radicaux par un semblant d’alliance sous les auspices de la république. On lui demandait de rompre solennellement avec ces radicaux qui le compromettaient par leur appui, et, au besoin, on se flattait de l’y contraindre par une loi de responsabilité qui remettrait le ministère à la discrétion de la majorité. On avait beau s’en défendre, on se défiait plus que jamais du président, on le traitait en suspect, qui n’offrait pas assez de garanties aux partis conservateurs, qui avait passé à l’ennemi ! L’accusation était certes étrange. Conservateur,