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V.

D’abord, la libération de la France venait de faire un pas décisif. Au moment même où il avait à se débattre avec l’assemblée, avec la commission des « trente, » M. Thiers, qui ne se détournait pas du premier et grand objet de ses efforts, poursuivait patiemment, discrètement une négociation bien autrement sérieuse avec l’Allemagne. Il venait de gagner sa cause à Berlin en signant le traité du 15 mars 1873, qui rapprochait de plus d’une année le terme de l’occupation étrangère, qui fixait au mois de septembre suivant la retraite définitive et complète de l’armée allemande.

Cette libération anticipée, en dégageant heureusement l’intérêt national, avait aussi un autre effet assez facile à prévoir. Ce qui, jusque-là, avait contenu les partis cessait d’être un frein pour leurs passions. Ils n’avaient plus ce poids de l’occupation étrangère; ils retrouvaient jusqu’à un certain point leur liberté et ils laissaient éclater leurs sentimens intimes dans les manifestations mêmes auxquelles se livrait l’assemblée à l’occasion d’un événement, prix de tant de soins habiles et persévérans. Ils ne méconnaissaient pas les services de M. Thiers, ils ne lui refusaient pas un remercîment; ils semblaient s’étudier à lui mesurer les témoignages de la reconnaissance publique, et ce n’est qu’après des explications pénibles, par une addition disputée à un ordre du jour, qu’ils consentaient à déclarer que le chef du pouvoir exécutif « avait bien mérité de la patrie. » Ils prouvaient ce jour-là assez malheureusement qu’ils n’avaient pas désarmé, qu’ils se tenaient toujours prêts à reprendre le combat, même contre celui qu’on pouvait appeler désormais le « libérateur du territoire. » — Peu après, survenait un autre incident peu important en apparence, au fond significatif, qui révélait du moins l’état des esprits, la marche des choses. M. Jules Grévy, qui depuis deux ans présidait l’assemblée, qui représentait la république dans une des deux grandes positions de l’état, croyait devoir se retirer devant quelques manifestations qui l’avaient blessé. Il avait été jusque-là l’élu de tous les partis; par une démission d’impatience et d’humeur il dégageait la droite en lui offrant l’occasion de s’emparer pour son propre compte de la présidence comme d’une place de sûreté. Les conservateurs se hâtaient de donner pour successeur à M. Jules Grévy un homme d’une droite et ferme autorité d’ailleurs, M. Buffet, dont la présence au fauteuil pouvait avoir dans des momens difficiles une influence sérieuse. Ils essayaient leurs forces, ils s’enhardissaient par ce coup de scrutin qui était pour eux