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24 mai, qu’il avait laissé toute liberté à cette campagne monarchique, il répondait vivement qu’on se trompait, que s’il était resté au gouvernement, on l’aurait toujours accusé d’avoir été seul un obstacle, d’avoir tout empêché par sa mauvaise volonté. « Avec les hommes du 24 mai, ajoutait-il, toute fausse interprétation devenait impossible. C’était à eux à faire la lumière, et ils l’ont faite éclatante. En effet, eux présens au pouvoir et le sachant, ne l’empêchant pas, on est allé à Frohsdorf traiter de la couronne de France. Loin de blâmer mes successeurs de leur attitude en cette occasion, je trouve bon qu’ils aient ainsi laissé tout faire, tout tenter; mais alors il faut bien m’accorder que la preuve est complète sans que rien y manque. » L’expérience était en effet décisive. — Restons en 1873. Qui s’était trompé? qui avait eu raison?

Cette impossibilité de la monarchie qui éclatait dans un si grand mécompte, M. Thiers l’avait vue ou prévue. C’était le premier point de sa politique, le secret de ses résolutions; mais en même temps, s’il avait pris la république comme le seul régime possible, il avait fait son choix sans illusion, sans méconnaître ce que la république avait de difficile avec son passé, avec ses souvenirs de violence, avec un parti toujours prêt à la compromettre. Il en avait tracé d’avance les conditions nécessaires, permanentes, et la première de ces conditions, celle qui dominait toutes les autres, il l’avait inscrite dans son message du 13 novembre 1872. Il avait dit : « La France ne veut pas vivre dans de continuelles alarmes, et si on ne lui laisse pas le calme dont elle a indispensablement besoin, quel que soit le gouvernement qui lui refusera ce calme, elle ne le souffrira pas longtemps. Qu’on ne se fasse pas d’illusions! On peut croire que, grâce au suffrage universel et appuyé ainsi sur la puissance du nombre, on pourrait établir une république qui serait celle d’un parti. Ce serait là une œuvre d’un jour... La république n’est qu’un contresens si, au lieu d’être le gouvernement de tous, elle est le gouvernement d’un parti. Si, par exemple, on veut la représenter comme le triomphe d’une classe sur une autre, à l’instant on éloigne d’elle une partie du pays, une partie d’abord et le tout ensuite... Quant à moi, je ne comprends, je n’admets la république qu’en la prenant comme elle doit être, comme le gouvernement de la nation qui, ayant voulu longtemps et de bonne foi laisser à un pouvoir héréditaire la direction partagée de ses destinées, mais n’y ayant pas réussi pai-des fautes impossibles à juger aujourd’hui, prend le parti de se régir elle-même, elle seule, par ses élus librement, sagement désignés sans acception de partis, de classe, d’origine... » Prévoyantes paroles qui s’adressaient aux républicains, qui définissaient d’avance le caractère de la seule république acceptable pour la France et qui n’ont certes pas perdu leur à-propos.