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ce qui n’est pas un appel aux sentimens généreux dont l’enfance peut être virilisée.

Si j’ai réussi à faire comprendre de quels métiers se compose l’école professionnelle de l’Orphelinat d’Auteuil, on a vu que ce ne sont que des métiers sérieux, permanens, pour ainsi dire, d’utilité constante, et par cela même assurant le travail à celui qui les possédera. J’insiste sur ce point qui est fort important et qui dénonce les intentions dont l’abbé Roussel a été animé lorsqu’il s’est décidé à parfaire des ouvriers et non pas seulement des apprentis. Les entrepreneurs de travaux faciles n’ont point manqué de lui adresser des propositions : il les a repoussées; on a essayé de le tenter en lui montrant l’appât des bénéfices à l’aide desquels il pourrait soutenir son œuvre de charité; il a secoué la tête et a refusé toute combinaison dont l’avenir de ses orphelins n’aurait pas à profiter d’une façon durable et même définitive. De quoi s’agissait-il? D’assimiler en quelque sorte la maison d’Auteuil à une maison de correction et d’imposer aux enfans une besogne qui n’a point besoin d’apprentissage, dont l’utilité est illusoire et qui ne peut jamais être un gagne-pain assuré. En moins de huit jours un enfant devient habile à la fabrication des chaînettes, des éventails en papier, des boîtes en carton, à l’assemblage des cahiers d’écolier, à la reliure des calepins, à la frappe des boutons de cuivre; on le sait bien à la Petite-Roquette, où les jeunes détenus sont employés à ces bimbelots, mais les jeunes détenus savent aussi que ce n’est point là un état qui pourvoit aux nécessités de la vie, et plus d’un de ces malheureux qui a passé deux ou trois ans à coudre ensemble des feuilles de papier ou à boucler des fils de laiton en est réduit à se faire terrassier ou coltineur pour ne point mourir de faim. En recueillant le vagabond, en lui donnant de l’instruction, en le ramenant à la dignité d’homme dont il s’écartait, l’abbé Roussel acceptait charge d’âmes. Il n’a pas répudié le fardeau et le porte avec vaillance. Il négligea son intérêt, n’eut en vue que celui de ses pupilles et au risque de ce qui pourrait advenir, ne voulut introduire dans sa maison que des métiers graves dont l’apprentissage est lent, mais dont l’exercice et la rémunération n’offrent pas trop d’aléa. Le résultat était facile à prévoir et avait été prévu; on s’est fié à la charité humaine; la charité n’a point été sourde, elle a répondu. Les ateliers coûtent plus qu’ils ne rapportent, j’entends ceci au sens matériel du mot, car au sens moral le bénéfice est inappréciable. Les apprentis qui sont à Auteuil auront le loisir de s’en convaincre plus tard, car plus d’un en doute aujourd’hui. Ceci est douloureux et je ne dois pas le cacher.

Dans le monde où l’abbé Roussel ramasse ses élèves, la bienveillance