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les fruits, les guirlandes de perles, sont traités avec un goût exquis. De beaux enfans nus, groupés ou isolés, apparaissent çà et là : un d’entre eux, vu de dos, joue du luth. Notons enfin deux magnifiques chimères, d’un relief extrêmement mince, qui ont une certaine affinité avec les créations familières à l’école de Mantegna.

Que la porte du palais de Schifanoia soit contemporaine de Borso, c’est ce qu’atteste la licorne qui la surmonte, car la licorne était l’emblème particulier de ce prince. L’écusson ducal que l’on y aperçoit confirme d’ailleurs la signification qu’implique la présence de l’animal héraldique. On remarque en effet dans cet écusson, outre l’aigle blanche de la maison d’Este et les trois fleurs de lis concédées par Charles VII, roi de France, au marquis Nicolas III, l’aigle notre à deux têtes que l’empereur Frédéric III avait permis à Borso d’y introduire, en 1452, quand il lui eut conféré le titre de duc de Modène et de Reggio. Mais on n’y constate pas encore les clés pontificales, surmontées de la tiare, qui y figurèrent après que Sixte IV, en 1472, eut confirmé à Hercule Ier, frère et successeur de Borso, l’investiture du duché de Ferrare, accordée au précédent souverain de cette province.

Sous le règne de Nicolas III, fils du marquis Albert, à l’époque où le pape Eugène IV, dans l’espoir de mettre fin au schisme de l’église grecque, rassembla à Ferrare (1438) un concile qui fut ensuite transféré à Florence, le palais de Schifanoia commença à recevoir la consécration des souvenirs historiques en servant de demeure à Démétrius, despote de Morée, tandis que le frère de ce prince, Jean Paléologue, empereur de Constantinople, était logé dans le Palais du Paradis[1], autre création d’Albert. Il nous rappelle aussi tout à la fois la générosité et les rigueurs du duc Hercule Ier. A peine Hercule avait-il succédé à son frère Borso, qu’il donna le palais de Schifanoia à Albert, un autre de ses frères (1471). Mais, dès 1474, il prenait ombrage de la popularité d’Albert, et, sous prétexte que celui-ci avait refusé d’aller à la rencontre d’un certain ambassadeur, il confisquait ses biens et l’exilait à Naples (1476). Rentré en possession de la belle résidence de Schifanoia, il s’attacha à l’embellir et y séjourna lui-même. C’est là que naquit son fils Alphonse, troisième duc de Ferrare. Il y hébergea plus d’une fois des personnages de distinction, notamment les trois oncles du petit duc Jean Galeas Sforza exilés par Bone, sa mère et sa tutrice, pour avoir excité des troubles à Milan (1477); puis l’ambassadeur

  1. C’est là que sont installées l’université et la bibliothèque. Le Palais du Paradis devait son nom aux peintures dans lesquelles Antonio Alberti, dit-on, avait représenté la gloire des bienheureux. Ces peintures n’existent plus.