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et que, d’ailleurs, il leur est arrivé de céder le pinceau à des aides, à des élèves plus ou moins habiles.

Pendant longtemps, on a mis au compte de Cosimo Tura toutes les fresques du palais de Schifanoia. Justice a déjà été faite de cette assertion. Elle contenait cependant une part de vérité. Cosimo Tura, en effet, n’est certainement pas étranger à ces fresques, auxquelles ont sans aucun doute travaillé les peintres formés à son école, et il en a peut-être eu quelque temps la direction générale. Il jouissait auprès de Borso d’une faveur telle qu’il fut le peintre attitré de la cour, et son crédit se maintint sous Hercule Ier. Tito Strozzi, dont il fit le portrait, et Lodovico Bigo Pittorio, un autre de ses contemporains, le louèrent dans leurs vers, tandis que le père de Raphaël, Giovanni Santi, dans un poème écrit après 1468, le rangea parmi les plus grands artistes qui aient vécu hors de la Toscane. Dans une série d’actes trouvés par L.-N. Cittadella et espacés entre les années 1480 et 1491, les qualifications les plus flatteuses lui sont prodiguées : on le traite de « peintre noble et remarquable ; » on l’appelle « le peintre le plus éminent de l’époque. » Y avait-il lieu de nommer un arbitre pour estimer une peinture, c’est à lui que l’on s’adressait. Sa renommée ne se confinait pas dans sa ville natale, qu’il ne quitta pourtant jamais, et Jean Galéas, sur la recommandation de Borso, lui envoyait des élèves à former. C’est qu’il occupait une place à part dans l’école ferraraise et que, après lui avoir fait quitter l’ornière de la banalité, il lui avait imprimé un essor puissant et original, et l’avait définitivement engagée dans une voie où son caractère propre et ses aptitudes spéciales allaient désormais se développer brillamment[1]. Tura est dans cette école, comme l’a remarqué M. Morelli[2], ce qu’est, toute proportion gardée entre les mérites respectifs, Mantegna dans l’école de Padoue, Bartolommeo Vivarini dans l’école vénitienne, Foppa dans_ l’école lombarde, Piero della Francesca dans l’école ombrienne, Andréa del Castagno et Antonio Pollaiuolo dans l’école florentine.

Ses œuvres indiquent qu’il se pénétra des traditions du Squarcione[3], vivifiées par le génie de Mantegna[4]. Le voisinage de Venise ne fut probablement pas non plus sans profit pour lui, et c’est peut-être en souvenir de ses bons rapports avec les artistes vénitiens qu’il prit dans son premier testament, le 14 janvier 1471, une disposition en faveur des pauvres de cette ville. On peut lui reprocher

  1. Francesco Cossa ne fut pas étranger non plus à cette transformation et à ces progrès.
  2. Die Werke italienischer Meister in den Galérien von München, Dresden und Berlin, p. 123.
  3. Né en 1394, mort en 1474.
  4. Né en 1431, mort en 1506.