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rompue, l’amiral osa faire à la reine de fortes remontrances; il lui déclara le mécontentement des sujets du roi, tant pour le fait de la religion que pour les affaires politiques; il conseilla un édit de tolérance et un « sainct et libre concile. » Peu de jours après, on rendit bien un édit, mais on n’accordait pas le libre exercice de la religion ; c’était un édit d’abolition pour le passé et pour l’avenir, qui enjoignait aux réformés de vivre comme bons catholique?. En vain, Coligny et d’Andelot s’efforcèrent d’arracher à la mort le baron de Castelnau, arrêté aux environs d’Amboise par le duc de Nemours ; ne pouvant rien obtenir, ils demandèrent à se retirer et en obtinrent la permission; d’Andelot partit pour la Bretagne, et Coligny se rendit en Normandie ; il y trouva le culte reformé célébré publiquement dans nombre de villes, et pendant trois jours qu’il resta à Dieppe, il fit célébrer le service divin dans sa maison, portes ouvertes. Il échauffa partout le zèle des églises et reçut un grand nombre de requêtes qu’on lui remit pour le roi et pour la reine mère.

Au mois d’août (1560), la reine mère réunit à Fontainebleau les princes et les membres du conseil privé avec beaucoup de prélats et de seigneurs. On discuta longuement sur les affaires qui troublaient l’état, et quand ce fut au tour de l’amiral, il présenta au roi et à la reine mère deux requêtes envoyées par les réformés de Normandie, qui demandaient la cessation des persécutions et la liberté du culte nouveau. L’amiral observa que, sans doute, des requêtes de cette importance devaient être signées, mais que cela ne se pouvait faire tant qu’on n’aurait pas permis aux réformés de s’assembler; qu’au reste, on l’avait assuré qu’en Normandie seulement, il se trouverait cinquante mille personnes pour les signer. Tous les témoins de cette scène s’émerveillèrent de tant d’audace; c’était la première fois que la réforme trouvait un avocat aussi résolu et tenant une aussi grande place dans l’état. Retourné à Châtillon, il apprit l’arrestation de Condé, celle de sa sœur, la comtesse de Roye, le triomphe complet des Lorrains et leurs sinistres projets. Il n’hésita pas : laissant sa femme enceinte, sans lui dissimuler qu’elle entendrait peut-être bientôt parler de sa prison, ou de sa mort, il se rendit à Orléans. Il plaida en vain la cause de Condé; il voyait déjà dresser l’échafaud qui s’élevait pour le prince, quand la maladie et la mort imprévue du jeune roi donnèrent à toutes choses une face nouvelle. Devant le lit de mort de François II, Coligny dit ces simples mots : « Messieurs, le roi est mort ; cela nous apprend à vivre. » Rentré chez lui, il se chauffait à la cheminée et se perdait dans sa rêverie. « Monsieur, c’est trop resver, lui dit un de ses gentilshommes; vos bottines en sont toutes bruslées. — Ah! Fontaine, il n’y a pas huit jours que toy et moy en eussions voulu estre quittes chacun