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voudrais esquisser le récit des événemens qui ont déterminé en Égypte et en Orient une crise dont malheureusement il n’est pas encore possible de prévoir les dernières conséquences.

Comme ce sujet serait trop vaste si je voulais en aborder toutes les parties, je laisserai volontairement de côté les questions diplomatiques et internationales qui s’y rattachent ; je ne parlerai pas de l’effet que l’insurrection militaire du Caire a produit en Europe, des résolutions qu’elle a inspirées aux divers gouvernemens, du contre-coup qu’elle a exercé sur la politique générale. Je me bornerai à décrire cette insurrection, à en exposer les causes et les péripéties. Peut-être cela suffira-t-il pour faire comprendre devant quel misérable fantôme, devant quel ridicule épouvantail la France a reculé, abandonnant l’Égypte, abandonnant notre influence en Orient et dans le monde, rompant avec nos traditions les plus anciennes, compromettant nos intérêts les plus clairs ; et pourquoi ? Pour éviter de se heurter à une bande de soldats d’opéra comique, qu’un assaut de vingt minutes a délogée des plus solides fortifications et anéantie pour toujours. Ceux qui ont pris Arabi pour un grand patriote et pour un grand guerrier, ceux qui se sont imaginé que nous courions je ne sais quel péril chimérique sur nos frontières si nous faisions respecter sur les bords du Nil nos droits les plus évidens ; ceux qui ont abandonné l’alliance anglaise, dont nous avions retiré tant de profits, pour nous jeter dans tous les hasards de l’isolement et de la malveillance; ceux dont l’ignorance et la pusillanimité ont causé ces grands malheurs, ceux-là ont infligé à la France dans la Méditerranée une défaite presque aussi désastreuse et plus humiliante que celle que nous avons subie sur le continent.

Si le moment n’est pas encore venu d’écrire l’histoire diplomatique de l’insurrection égyptienne, il en est tout autrement de son histoire politique, morale et anecdotique. Les documens abondent. Les pièces de l’enquête judiciaire qui a précédé le procès d’Arabi et de ses complices n’ont point été portées à l’audience, mais elles ont été publiées dans les journaux égyptiens ; tout le monde en a eu connaissance au Caire, et si elles ne sont arrivées en Europe que travesties par la presse anglaise, si on n’en a reçu que des lambeaux et des fragmens défigurés avec soin, en Égypte, au contraire, sur le théâtre même des exploits des insurgés militaires, on a pu les lire et les méditer dans leur intégralité. L’impression qui s’en dégage est celle de l’étonnante lâcheté, de la prodigieuse défaillance morale de tous les chefs de la révolution, de tous ces hommes qui, pendant quelques mois, ont passé pour des héros et qui passent encore, aux yeux des philanthropes anglais et des radicaux français, pour des martyrs. Aucun d’eux n’a eu l’audace